Tadanobu Asano

Ni vu ni connu, Tadanobu Asano s'impose comme l'acteur rêvé de la Nouvelle Vague japonaise. Les cheveux en bataille ou relevés en chignon, la mèche blonde ou délicatement crantée, Asano est un rebelle qui se soigne, à l'image des innombrables pop idols partis assiéger les chaînes de télé. Mais Asano n'a rien d'une vulgaire poupée. Sa filmographie plutôt bien portante affiche une curiosité et un éclectisme jamais démentis. En quinze ans, tous les esthètes d'Asie sont venus le chercher, à commencer par les deux Takashi (Miike et Kitano), Shunji Iwai, Nagisa Oshima, Sogo Ishii et même un certain Wong Kar-Wai.

L'EAU QUI DORT

Tadanobu Asano se coupe la langue avec une paire de ciseaux, mais répond poliment à son portable. La scène est tirée de la marmelade sanguinolente de Takashi Miike, Ichi the Killer. Pendant qu'un grand garçon émotif éventre tout ce qui bouge, Asano embroche ses victimes comme des dindons et se fait flageller par une incompétente en latex. Voilà pour le Japon zen et la réputation de gentleman timoré. Comme Ichi, le sang-froid incarné, Tadanobu Asano sait profiter de ses heures créatives et ne perd jamais de vue la raison de sa venue, la chasse au frisson. Abonné aux rôles d'épouvantails un peu gauches et de psychopates en puissance, Asano fait rêver les midinettes autrement. L'acteur est une star adulée au Japon, marié à une star de la chanson (Chara, rencontrée sur le tournage de Picnic). Son aura est telle que les cinéastes visionnaires frappent à sa porte et lui restent éperdument fidèles. Son profil low-fi et sa dégaine lounge, sa liberté précieuse sont presque devenus des marques déposées. Asano somnole un instant, explose l'instant suivant, imprévisible et insaisissable. Vedette authentifiée, Asano ne correspond en rien à l'image de tordu magnifique qu'on s'en fait. Loin des excentricités de Shibuya et de Harajuku, l'idole des jeunes est clean de la tête aux pieds. Ne boit pas, ne fume pas, ne court pas la pervenche. Rentre à la maison s'occuper de ses deux enfants, dès le dernier clap de tournage.

LA TANGENTE

A l'école, le petit Tadanobu est doublement un inconnu. C'est un "gaijin", un métisse dont la mère est à moitié américaine. Elevé dans une ambiance décontractée, le garçon se fait percer les oreilles à treize ans par sa mère hippie-baba, amatrice de Led Zeppelin. Son père est peintre, Tadanobu doit les deux premières syllabes de son prénom à l'artiste pop Tadanori Yokoo. Parce qu'il est différent, le garnement traîne avec une bande d'hurluberlus, tous rêvent en secret de se réincarner en rock stars. Parallèlement à sa carrière d'acteur, Asano n'a jamais lâché la guitare. Même si son groupe, Mach 1.67, fondé avec Sogo Ishii, est resté dans la marginalité la plus totale (pour preuve, Asano édite des singles de soixante minutes), l'homme s'y sent comme un poisson dans la lagune, libéré de toute pression commerciale. Planté devant un micro, Asano l'impassible sort de ses gonds devant les fans estomaqués – un challenge tout naturel pour quelqu'un qui a grandi avec le fantasme de Sid Vicious et des Sex Pistols en tête. A seize ans, "rebel without a cause" dans l'âme, piercé et crête sur la tête, Asano court les castings avec son père, devenu son agent. L'idée vient de l'aîné, le rejeton est décidément trop photogénique. Mais contrairement aux popstars démontées à la chaîne, le jeune acteur refuse de minauder. Bien avant que Beat Takeshi, clown triste de la télé, ne fasse appel à lui pour Zatoïchi, Asano sait déjà que les séries mollassonnes ne sont pas faites pour lui.

UN NUAGE AU BORD DU CIEL

Comme Johnny Depp, c'est une série pour ados qui le lance, Kinpachi Sensei. Comme Johnny Depp, Tadanobu Asano se découvre une allergie aux simples rôles de chevaliers servants. Par chance, les talentueux Shunji Iwai et Hirokazu Kore-Eda le prennent par la main. Après eux, Asano ne s'arrêtera plus. Trois films avec le méconnu Iwai (dont l'ambitieux Swallowtail Butterfly), deux avec l'excellent Kore-Eda (Distance et Maborosi). Avec Sogo Ishii, il alterne les excentricités formelles (Electric Dragon 80 000 V et Dead End Run) qui lui confèrent un statut culte, et les balades oniriques qui soulignent son aura ténébreuse (Gojoe, Le Labyrinthe des rêves). Tadanobu Asano a beau avoir tourné avec Nagisa Oshima (Tabou), Kiyoshi Kurosawa (Jellyfish), Shinya Tsukamoto (Gemini) et même Christopher Doyle (Away with Words) et Wong Kar-Wai au détour d'un spot télé, il ne se considère pas comme un acteur. Asano ne joue pas, ou ne donne pas l'impression de jouer. Le goût de l'étrange et de l'étranger le conduisent sur les traces de Hou Hsiao-Hsien (Café lumière), charmé par sa discrétion et son humilité, mais également hors des frontières (deux films thaïlandais, Last Life in the Universe et Vagues invisibles du même Pen-ek Ratanaruang). Musicien, modèle et graphiste, Tadanobu Asano a réalisé un court métrage, Tori ("oiseau"): "A mes yeux, les plus beaux films sont ceux qui s'inspirent de la peinture, de la musique et de la poésie." On comprend mieux ses choix.

par Danielle Chou