Tár

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Tár
États-Unis, 2022
De Todd Field
Scénario : Todd Field
Avec : Cate Blanchett, Nina Hoss, Noémie Merlant, Mark Strong
Musique : Hildur Guðnadóttir
Durée : 2h38
Sortie : 25/01/2023
Note FilmDeCulte : *****-
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Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle. En émerge un examen virulent des mécanismes du pouvoir, de leur impact et de leur persistance dans notre société.

I PLAY THE ORCHESTRA

Tár est aussi fascinant qu'il est difficile d'accès. Ou peut-être est-il fascinant parce qu'il est difficile d'accès. Non qu'il s'agisse d'un film mal-aimable, comme peut l'être par exemple un Blonde, mais parce qu'il ne prend jamais le spectateur par la main et avance masqué, s'apparentant dans un premier temps à une chronique vraisemblablement dénuée de la moindre intrigue, pour ne pas dire sans but, avant de révéler semblablement sur le tard ce qui va en devenir le "sujet". En réalité, cette étude de personnage traite dès les premières minutes de sa véritable matière - le pouvoir - personnifiée par le protagoniste qui donne son titre au film, avec son métier hautement symbolique, tant pour son rôle de dirigeant, de "maître du temps" comme elle aime le définir, que pour les privilèges qu'un tel statut permet et que le film entreprend progressivement de démontrer (et démonter) non pas tardivement mais tout le long des 2h37.

Outre l'introduction pour le moins frontale qui permet de présenter le personnage par le biais d'un CV et d'un entretien, plein de name-dropping, la séquence la plus éloquente reste sans nul doute celle du cours à Juilliard, filmée en un plan unique mais sans esbroufe qui cristallise à lui seul la thèse du film au sein de sa mise en scène. La caméra suit Tár, c'est elle qui la dirige, qui la commande par sa présence, ses mouvements, ses déplacements à travers l'amphithéâtre. Il n'est plus tant question d'enseignement que d'instruction et quand bien même le fond de la pensée du personnage est juste, retoquant l'argumentaire de social justice warrior faiblard d'un élève issu de la diversité, il est tout autant question d'ego et de contrôle et d'écraser l'interlocuteur. Toutefois, Field a l'intelligence, en abordant ce genre de questions délicates, de ne jamais porter de jugement évident sur quiconque. Le film peut se targuer d'être plus ambigu qu'on ne l'attendrait sur des notions aussi explosives et actuelles que le genre ou la cancel culture. En choisissant de faire de son protagoniste une femme homosexuelle, le cinéaste ne cherche pas à inverser les rôles, comme une démonstration qui pourrait tendre à la malhonnêteté, ni à évacuer la question du genre ou de l'orientation sexuelle pour ne traiter que du pouvoir et du privilège. Il montre plutôt comment une femme devenue l'égale des hommes (chef d'orchestre, position de puissant) l'est également devenue dans ses pires travers.

Pour autant, Tár n'est jamais une "sale meuf", dans le sens "sale mec", comme on pourrait aisément caractériser un personnage aux desseins négatifs, mais ses actes n'en demeurent pas moins sans équivoque, les motivations derrière chacune de ses décisions sont évidentes. L'intérêt et l'égoïsme qui les régissent sont simplement dépeints comme un fonctionnement ancré, "banal", auquel on comprend qu'elle s'est adonné maintes fois sans répercussions, sans remise en question, car il est depuis longtemps la prérogative des gens de pouvoir. Mais les temps ont changé et le choc générationnel n'est pas toujours une situation dans laquelle Tár peut avoir le dessus (Olga n'est pas comme l'élève qu'elle casse en deux). En réalité, la clé est dans le tout premier plan qui qualifie textuellement Tár "d'humaine après tout" et le récit va petit à petit déconstruire cette figure inaccessible et froide en apparence pour révéler une image soigneusement construite, conformément à ce qui est attendu alors qu'elle se voudrait originale et pas un "robot" (ayant tu son identité, comme exhorté lors de son cours), et savamment bâtie sur des transactions humaines. Néanmoins, même quand le film s'affaire à montrer les tourments qui hantent le personnage, prenant furtivement des atours de thriller ou même de film de fantômes, la vieillesse et la mort planant sans cesse autour du protagoniste, il n'excuse pas plus qu'il ne juge.

Field gagne vraiment en talent à chaque film. In the Bedroom (2001) témoignant déjà d'un ton assez surprenant, traitant le deuil en troquant le pathos pour une colère sourde et Little Children (2006), plus maîtrisé encore dans la tension et déjà ambitieux dans sa densité thématique, tombait toutefois dans une écriture démonstrative et lourdingue sur le dernier tiers que Tár, son premier scénario original et écrit seul, sait parfaitement éviter. Le savoir-faire est devenu ici expert, il n'y a qu'à voir l'utilisation de ces décors anguleux, aussi froids et rigides que le personnage, l'alternance entre la retenue de certains cadres et le caractère plus ostentatoire d'autres mouvements ou angles. On ressent les 16 ans de maturation et le résultat est aussi impressionnant que la prestation sans fautes de Cate Blanchett.

par Robert Hospyan

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