Silence

Silence
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Silence
États-Unis, 2016
De Martin Scorsese
Scénario : Jay Cocks, Martin Scorsese
Avec : Tadanobu Asano, Adam Driver, Andrew Garfield, Liam Neeson
Photo : Rodrigo Prieto
Durée : 2h41
Sortie : 08/02/2017
Note FilmDeCulte : *****-
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XVIIème siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves.

ELOHI ELOHI LAMA SABACHTHANI

Rares sont les films dont on sort en se disant qu'on va avoir du mal à mettre des mots dessus. Le dernier opus de Martin Scorsese est de ces films. Comme si son titre nous l'imposait, à l'issue de la projection, nous sommes réduits au silence. Si le sens qu'on lui prête ici est extra-diégétique, le titre revêt toutefois plusieurs niveaux de lecture, s'avérant aussi riche que l'oeuvre lui-même peut l'être sur l'étude de la foi. En concrétisant un projet initié en 1988, Scorsese signe son film le plus audacieux et différent depuis 20 ans. Ce n'est peut-être pas un hasard vu que 1997 marquait la sortie d'un des autres films à caractère religieux du cinéaste, le mésestimé Kundun. Lors de la conférence de presse, un journaliste a qualifié Silence de film "le moins scorsesien formellement" de son auteur. Un commentaire réducteur oubliant le passif du metteur en scène qui n'est donc pas juste celui du Loup de Wall Street, dont la structure et le rythme sont cuits à la perfection dans le moule déjà vu des Affranchis et Casino, mais également celui de de La Dernière tentation du Christ, autrement plus aride. Une fois de plus après ce dernier, ainsi que pour Kundun, Scorsese troque le territoire urbain qui définit tant son cinéma - de Mean Streets à Le Loup de Wall Street, la rue est omniprésente dans la filmographie du cinéaste - pour des contrées désertiques, comme si le chemin de croix de ses protagonistes croyants, qu'il s'agisse de Jésus ou du Dalai Lama, ne pouvait se faire qu'au travers d'un tel décor, représentation visuelle de la privation, de l'absence de réponses. Du silence.

Il est dit dans le film que le christianisme ne peut pas prendre au Japon car il s'agit d'un pays marécageux où rien ne peut pousser et si Scorsese travaille la texture de ses images avec ces plongées divines sur l'eau ou l'herbe balayées par le vent, ce n'est jamais pour sublimer la nature mais pour en épouser le caractère imposant. Des grottes hantées sur les plages de sable noir jusqu'à la marée crucifiant inlassablement les victimes de la persécution, Silence propose un voyage au cœur des ténèbres, avec le Père Ferreira (Liam Neeson) en lieu et place de Kurtz, et donc en réalité un séjour introspectif dont le paysage n'est autre que l'illustration. Chaque fois qu'intervient le doute, arrive la brume. Dès le tout premier plan, le film est très beau - ça reste un film avec une photographie de Rodrigo Prieto (Alexandre) et des décors de Dante Ferreti (de Pasolini à Fellini jusqu'aux plus grandes fresques de Scorsese) - mais marque effectivement le retour de Scorsese à un style de film plus austère que ses derniers. Par sa durée et par son Scope, l'ouvrage témoigne d'une indéniable ampleur mais ce n'est pas 2h41 de vistas incroyables, aussi esthétiques que peuvent être les cruelles scènes de torture, c'est 2h41 de Jésuites enfermés qui ne font pas grand chose à part se poser des questions sur la conduite à adopter et à parler à un Dieu qui reste muet. Silence est une épopée intime. Le deuxième acte, sans doute le plus répétitif, peut paraître long mais cette prise de temps est nécessaire pour montrer le supplice, celui vécu par les chrétiens japonais mais aussi celui de Rodrigues (Andrew Garfield), dans son exhaustivité. Malgré cela, la démarche n'est jamais complaisante. Silence c'est l'anti-La Passion du Christ. Zéro emphase, zéro musique. Rien que le silence.

Un silence qui est donc celui de Dieu, muet face aux questions du dévot, mais également celui dudit dévot, lorsqu'il comprend enfin que la foi ne dépend pas d'icônes ou de totems. Peut-être encore plus que dans l'arc du personnage principal, ce propos se retrouve symbolisé par le sublime personnage de Kichijiro (Yōsuke Kubozuka), de prime abord un lâche alors qu'il s'agit peut-être de celui qui a tout compris, caractérisant à lui seul la particularité à la fois charitable et hypocrite de la notion de confession et de pardon propre au catholicisme. Avant Rodrigues, Kichijiro a compris qu'il fallait abandonner son orgueil, un péché capital après tout. Le plan-clé du film est celui où Rodrigues voit le visage de Jésus dans son propre reflet narcissique et éclate de rire. S'il se voit un temps en martyr similaire, ce n'est que plus tard qu'il comprend que la foi est quelque chose d'intérieur. Elle est en lui. Dès le départ, Scorsese évoque la question du point de vue, dans l'écriture triplant la voix off comme dans ses films de gangsters ou dans la mise en scène brisant délibérément la faute des 30 degrés dans un raccord lors d'un champ-contre-champ entre trois personnages pour passer du point de vue de Rodrigues à celui de Garupe (Adam Driver). Tout au long du film, ces points de vue vont se confronter, sur l'attitude à adopter, sur les préceptes à enseigner, pour être un bon chrétien. Ainsi s'exprime le point de vue de Scorsese, remettant en question la religion en ne limitant pas la spiritualité aux normes imposés par l'Église. Et si la foi se vit en silence, cela signifie aussi qu'elle se vit sans prosélytisme. Au départ, le film ne paraît pas souhaiter évoquer le péché originel des chrétiens partis convertir une autre culture à leur croyance mais au fur et à mesure, les japonais ne sont plus diabolisés mais justifiés. Le film renvoie face à face le colonialisme européen et l'inquisition japonaise et le constat est le même dans un sens comme dans l'autre, résidant dans le dicton local cité dans le film : "Les montagnes et les rivières peuvent être bougées mais pas la nature de l'Homme". On peut essayer de convertir un peuple et on peut essayer de pousser un croyant à renier sa foi mais l'entreprise est vouée à l'échec. Bien qu'il ne se livre pas facilement, Silence se révèle d'une densité et d'une beauté humaine des plus puissantes.

par Robert Hospyan

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