Café lumière
Kohi jikou
Japon, 2003
De Hou Hsiao Hsien
Scénario : Hou Hsiao Hsien, Chu Tien-Wen
Avec : Tadanobu Asano, Masato Hagiwara, Yo Hitoto, Nenji Kobayashi, Kimiko Yo
Photo : Lee Pin-Bing
Musique : Yosui Inoue
Durée : 1h49
Sortie : 08/12/2004
Solitaire et réservée, Yoko est journaliste et enquête sur le compositeur taiwanais Jiang Wenye. Aidée d'un ami libraire à qui elle fait part de ses recherches, elle déambule dans Tokyo d'un quartier à l'autre, et profite d'une escale à Takasaki pour rendre visite à ses parents. Au détour d'une conversation, elle leur apprend qu'elle est enceinte.
POURQUOI (PAS) LE JAPON?
Après les néons et les ressassements engourdis, Millennium Mambo s'échouait dans une rue immaculée. Sous la neige, Vicky son héroïne fugitive levait les yeux sur des vieilles affiches de cinéma. Hou Hsiao-Hsien partait s'oxygéner au Japon et y découvrait, émerveillé, un boulevard hanté de souvenirs, une parenthèse ravie pour un dénouement en apesanteur. Café lumière en est le prolongement terrien, son envers sentimental et diurne. Invité par le studio Shochiku à participer à l'hommage rendu à Yasujirô Ozu, Hou s'interroge sur les racines d'une oeuvre contemplative, aiguisée et sans apprêt, et se délecte d'une intrigue simple (et non simpliste) autour d'une jeune femme émancipée. Le déplacement n'est pas innocent. Hou ne se satisfait pas d'un exercice de style appliqué, il confronte ses obsessions à un pays et à une langue qui lui sont étrangers. La trame et l'acoustique sont pourtant familières. Le parallèle avec Lost in Translation de Sofia Coppola surgit spontanément, mais les deux voyages naissent d'impulsions radicalement opposées. Là où Bob et Charlotte choisissent le confinement et les jalons pittoresques, Hou Hsiao-Hsien fait l'impasse des dépliants touristiques. Les interprètes sont japonais (Tadanobu Asano, talentueux apôtre du cinéma d'auteur) et l'héroïne nippo-taiwanaise (Yo Hitoto) revendique sans complexe une identité confuse.
PAUSE CAFE
Libéré de ses fantasmes et du copinage révérencieux, Hou Hsiao-Hsien s'approprie d'entrée ce même terrain vague qui le fascinait dans Millennium Mambo. L'heure n'est plus à la magnificence formelle et au raffinement chromatique (Goodbye South, Goodbye, Les Fleurs de Shanghai, derniers fleurons en date); Café lumière est à plus d'un titre un film secondaire, un poids plume, une promenade biaisée dont le point de départ anecdotique renforce la cadence boiteuse. La démarche n'est pourtant pas vaine, la greffe est d'ailleurs si parfaite qu'on en devine à peine la cicatrice. Hou débarrasse sa vision des lieux communs sur le Japon contemporain – les temples, les cabarets, l'hystérie collective -, pour se fondre dans une campagne perdue, silencieuse, mais démystifiée. Pragmatique, le cinéaste taiwanais englobe la totalité de l'espace pour en détourer les crêtes les plus significatives. Café lumière s'avère ainsi moins un hommage servile plagiant les tensions familiales d'Ozu, que la rencontre intelligente entre deux sensibilités voisines. Aussi limpide soit-elle, la ballade fait frémir des émotions subtiles et contenues, de précieux non-dits enchevêtrés ça et là. Inattendue, parfois insolite, l'information essentielle sera toujours hors propos. La belle-mère apprend par hasard la grossesse de sa fille un brin lunaire, Hajime et Yoko manifestent discrètement leur attachement réciproque (une montre offerte et reproduite plus tard sur un autoportrait).
SOLEIL LEVANT
Hou Hsiao-Hsien a l'élégance de ne pas devancer ses personnages, de les attendre sur le bord glissant de la chaussée, d'entrebâiller l'avenir plutôt que de le condamner. Ils lui échappent un à un; à son tour, Hou les abandonne à leur sort, trébuchant. Et c'est ce vécu hésitant, singulier, cette proximité évasive qui animent Café lumière et rendent ses détours si séduisants. Malgré la discrétion, l'apparente austérité du plan-séquence (révélé progressivement, le studio de Yoko est filmé sous plusieurs angles fixes différents), les contretemps intrigants (les silences du père, incapable de formuler une parole rassurante), Hou et sa scénariste fétiche Chu Tien-Wen dessinent avec justesse le portrait d'une jeune femme ordinaire, entreprenante et insouciante. Une énigme à elle toute seule, comme l'est le secret Hajime, dont la principale marotte consiste à enregistrer le bruit des trains. Sans surprise, Hou apprivoise le Japon par le biais de son métro aérien et des tunnels en clair-obscur, figure maîtresse de son enfance. La bluette commence sur les rails: Yoko et Hajime séparés par une vitre ou se retrouvant au beau milieu du même wagon. Café lumière ne rivalise ni avec les bribes autobiographiques ni avec les récentes prouesses formelles de Hou, elle est une ritournelle à part, une flânerie qui tient à la fois du journal intime et de la topographie amoureuse et instinctive.
En savoir plus
Petits trains
Les séquences dans le métro ont donné bien du fil à retordre à Hou Hsiao-Hsien. En raison des menaces d'attentats et surtout très pointilleuse, la Japan Rail a refusé toute autorisation de tournage. Qu'à cela ne tienne: déjà échaudés par la hiérarchie administrative et les demandes quotidiennes de justificatifs, Hou et son équipe ont filmé en toute illégalité, caméra au poing et micros cachés, toutes les séquences dans les transports en commun. La scène de la station souterraine a nécessité 21 jours de tournage, à raison de six à dix minutes par séance d'enregistrement, pour échapper aux caméras de surveillance.