Charlotte Gainsbourg

Evoquer Charlotte Gainsbourg peut provoquer immédiatement une pensée pour Jane Birkin et Serge Gainsbourg, ses illustres parents. Et pourtant "la fille de" a réussi à se faire un prénom et imposer un talent qui a su s’exprimer aussi bien au cinéma qu’au théâtre ou encore, bien que trop rarement, derrière un micro.

CHARLOTTES FOR EVER

Charlotte Gainsbourg fut célèbre avant même de voir le jour. En effet, les photos de Jane Birkin enceinte de six mois florissaient dans les journaux et toute l’Europe se passionnait pour les exploits du couple le plus scandaleux de l’époque. Elle est née le 21 juillet 1971 dans un hôpital londonien et, non contente d’être la fille de Serge Gainsbourg et Jane Birkin, elle avait également un célèbre parrain en la personne de Yul Brynner. De quoi laisser penser qu’elle avait un destin tout tracé dans le cinéma ou la chanson. Et bien non. La jeune fille d’alors, qui apprend très tôt le piano, voulait se diriger vers la peinture ou devenir chirurgien. Elle a d’ailleurs vécu ses tendres années loin des médias et de la célébrité de ses parents, et prit la décision à 12 ans de partir en pension en Suisse. C’est en 1984, alors âgée de 13 ans, qu’elle chante Lemon Incest en duo avec son père, duo qui suscitera maintes indignations par son contenu hautement incestueux, le tout agrémenté d’un clip provocant à souhait. Charlotte est alors inconsciente du remous provoqué par la chanson, car elle se trouve loin de Paris. Sa première apparition sur le grand écran aura lieu la même année, dans Paroles et musique, où elle jouera la fille de Catherine Deneuve et la première Charlotte de sa carrière. La deuxième viendra l’année suivante quand Claude Miller lui offre son premier rôle principal dans L’Effrontée. Une performance difficile dont elle sort récompensée par le César du meilleur espoir féminin, pour un film salué unanimement par la critique et le public.

BON SANG NE SAURAIT MENTIR

Les deux années suivantes, elle va tourner avec son père dans Charlotte for Ever et ensuite avec sa mère dans deux films d’Agnès Varda: Kung-Fu Master et Jane B.. 1989 sera l’année des retrouvailles avec Claude Miller pour La Petite Voleuse, film basé sur le dernier script de François Truffaut et rôle écrit spécialement pour elle. Pourtant, le cinéma reste un hobby. En effet, elle tourne pendant les vacances scolaires. Ce qui l’intéressait alors, c’était l’expérience, un peu comme des vacances avec l’équipe du film et sans ses parents; parents qui ne l’ont d’ailleurs jamais poussée dans cette voie, elle a toujours été libre de ses décisions. Elle trouvait cela très amusant et, petit à petit, s’est mise à aimer le travail qu’elle devait fournir. Elle continue cependant ses études et s’inscrit après le bac à un cours de dessin. Seulement, elle se rend rapidement compte qu’elle ne peut assumer de front ses études et les tournages. Il lui faut prendre une décision, et c’est pour Merci la vie qu’elle décide en 1990 d’arrêter ses études, elle avait 19 ans. Choix judicieux s’il en est, car c’est cette même année qu’elle va rencontrer Yvan Attal sur le tournage de Aux Yeux du monde d’Eric Rochant. Ils ne vont plus se quitter et sont aujourd’hui les heureux parents d’un petit Ben et d’une petite Alice Jane. Ils joueront également dans Amoureuse de Jacques Doillon en 1991, alors beau-père de Charlotte, et dans Love etc. de Marion Vernoux, en 1996, pour lequel Charlotte sera nommée au César de la meilleure actrice.

MUSIC

Charlotte, qui n’a jamais vraiment cessé de chanter, interprètera la chanson du générique. En effet, après le hit Lemon Incest, elle a continué à travailler avec son père, qui lui écrira un album en 1986. Charlotte Forever, également titre de l’album, sera un succès, tout comme Elastique ou encore Zéro pointé vers l’infini. Elle sortira un autre album en 1991 intitulé Actrices: elle y reprend Lemon Incest et les chansons de Charlotte Forever. En 1994, elle chantera Di doo dah, de Serge Gainsbourg, en duo avec Jane Birkin, pour une soirée des Enfoirés au Grand Rex, et va la même année faire une apparition dans le clip vidéo de Séquelles, titre de l’album Prose Combat de MC Solaar. En 2000 sort l’album Music de Madonna. Sur le single What it Feels Like for a Girl, l'on peut entendre quelques lignes du texte de Charlotte Gainsbourg dans Cement Garden. En 2001, elle a participé à l’album des Enfoirés, L’Odyssée des Enfoirés, et en 2002, à celui de Badly Drawn Boy, Have You Fed a Fish. En 2004, est sorti le nouvel album d’Etienne Daho, Résurrection, sur lequel elle chante le magnifique If en duo avec lui. 2006 signe enfin son grand retour à la chanson avec l’album 5:55. Charlotte a pris son temps mais n’a rien laissé au hasard quand on sait que Nicolas Godin et JB Dunckel (Air), Niel Hannon (The Divine Comedy) ou encore Jarvis Cocker (Pulp) ont participé à l’écriture des chansons alors que le producteur Nigel Godrich n’est autre que celui de Beck ou encore Radiohead. Un album pop léger comme une brise estivale qui n’est pas sans rappeler la musique de son illustre papa, ce qui explique que la belle ait choisi, à une exception près, de chanter en anglais. En artiste accomplie, Charlotte, après la chanson et le cinéma, ne pouvait passer à côté du théâtre.

LE TEMPS DES DEFIS

En mars 1994, elle achète les droits de la pièce de David Mamet, Oléanna, pour ses débuts théâtraux. Elle avoue qu’elle trouvait le théâtre plutôt ennuyeux au départ et n’y allait pas souvent. Puis elle a réalisé qu’il s’agissait aussi de jouer, mais d’une manière différente, de voir son métier sous une autre perspective et ainsi de s’ouvrir à une nouvelle expérience. Celle-ci l’a beaucoup aidée à changer sa méthode de travail, à surmonter sa timidité et lui a donné plus d’assurance en ses capacités. Les défis ne lui font pas peur et elle apparaît ainsi pour son premier rôle en anglais dans Cement Garden, film de son oncle Andrew Birkin, dans le rôle d’une jeune fille dont les parents meurent et qui se retrouve seule avec son frère, qui découvre la sexualité avec elle. Une autre étiquette incestueuse pour la belle qui trouve cela, sinon normal, tout du moins naturel d’avoir un désir physique pour quelqu’un de sa famille. Elle reviendra à un mode plus léger pour jouer son propre rôle dans la comédie de Michel Blanc Grosse fatigue, puis retrouvera Eric Rochant sur le plateau d’Anna Oz, avant de transcender Jane Eyre dans le film de Zeffirelli en 1996 qui, s’il ne fut pas un gros succès public, aura au moins le mérite de la faire découvrir sur le plan international. Même si ces derniers rôles sont assez différents de ceux de ses débuts, il faudra attendre La Bûche de Danièle Thomson, en 1999, pour qu’elle rompe définitivement avec son image d’éternelle adolescente. Une fois de plus, la critique et le public acclament d’une seule voix son talent, récompensé cette fois-ci par le César du meilleur second rôle. Suivra le thriller psychologique The Intruder, tourné à Montréal avec Nastassja Kinski et John Hannah, dans lequel elle joue le rôle d’une femme hantée par le fantôme de la première femme de son mari, sauvagement assassinée.

THE WORLD IS HERS

Il aura fallu vingt ans à Charlotte Gainsbourg pour apprivoiser la célébrité et se sentir à l’aise avec elle-même, plus solide. Elle avouait il y a quelques années ne pas se sentir complètement professionnelle, faire ce métier depuis longtemps mais éprouver à chaque nouveau film la même sensation que s’il s’agissait du premier. Elle diversifie ses rôles avec Passionnément de Bruno Nuytten, puis Nuremberg et Les Misérables pour la télévision, avant un retour sur le grand écran sous la houlette de Patrice Leconte dans Félix et Lola (2001), film qui n’a pas connu un grand succès public mais dans lequel elle formait un beau duo avec Philippe Torreton. La même année, son compagnon, Yvan Attal, pour son premier film derrière la caméra, la dirige dans le caustique Ma Femme est une actrice. Une expérience qu’il a eu la bonne idée de renouveler avec Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, et Charlotte de rendre la scène chez le disquaire avec Johnny Depp, les deux accompagnés par Creep de Radiohead en fond sonore, d’une superbe intensité. Avant cela, elle aura été la femme de Sean Penn dans l’exigeant 21 Grammes d’Alejandro Gonzalez Inarritu. Les frontières, Charlotte les a franchies depuis longtemps, et il n’est donc pas surprenant de la retrouver en tête d’affiche du court métrage de Laure Marsac, Une star internationale. Avant de se laisser de nouveau caresser par la caméra de Claube Berri afin d'interpréter l’objet de toutes les tentations pour Daniel Auteuil dans L'Un reste, l'autre part. 2006 est décidément l’année Charlotte Gainsbourg car elle se retrouve à l’affiche de trois films, l’inquiétant thriller Lemming, la petite merveille onirique de Michel Gondry La Science des rêves, pour lequel elle retrouve un rôle en anglais, et la comédie romantique Prête-moi ta main, dans lequel elle retrouve Alain Chabat. La musique inspirant souvent le cinéma, elle termine actuellement I’m Not There de Todd Haynes, un film sur la vie de Bob Dylan.

par Carine Filloux