Antichrist
Antichrist
Danemark, 2009
De Lars von Trier
Scénario : Anders Thomas Jensen, Lars von Trier
Avec : Willem Dafoe, Charlotte Gainsbourg
Durée : 1h44
Sortie : 03/06/2009
Pour se remettre de la mort de leur enfant, un couple se réfugie dans une cabane perdue au cœur de la forêt. Ils comprennent alors que le monde est créé par le Diable et non par Dieu.
AUX PORTES DE L'ENFER
«Un film, ça doit être comme un caillou dans une chaussure». Ces mots de Lars Von Trier pourraient coller à sa filmographie comme à son petit dernier, Antichrist, s’ils n’étaient pas aussi réducteurs, aussi confortables également pour ses détracteurs. Radical, Antichrist l’est, et le caillou se sent bien dans la sandalette. Provocateur, probablement, mais l’essentiel n’est pas là. Plus que tout et selon ses propres dires, le réalisateur danois sanctifie l’expérience, les possibles de la toile blanche poussés dans leurs retranchements. Et défriche, offre différents visages , des essais culottés de Element of Crime, Epidemic ou Europa, des über-mélos à cœurs d’or de Breaking the Waves ou Dancer in the Dark, le voeu de chasteté du Dogme chanté par les Idiots ou l’improbable pari formel de Dogville et Manderlay. Chacun constitue une proposition de cinéma plus grande que nature et Antichrist ne déroge pas à la règle. Provocateur, peut-être, mais rien d’une bouffonnerie : l’art de Lars y est plus viscéral que jamais, une psychotérapie en film pour lui qui traversait alors une dépression, à travers une charpente simple de film d’horreur. Antichrist épure : il n’est même plus question d’héroïne échouant à vouloir faire le bien, comme Bess ou Selma, ici la sentence est déjà tombée. Il n’y a nul jugement de la société, glaive omniprésent dans Dogville ou Breaking the Waves, le couple s’est déjà refermé sur lui-même, on ne voit qu’eux (ou quelques fantômes), loin de tout dans un chalet du bout du monde. Baignant dans une cruauté physique qui s’inscrit déjà davantage dans l’œuvre du cinéaste, ou dans ce sens du baroque présent dans ses premières oeuvres.
«Si je n’avais pas trouvé ma voie dans le cinéma, j’aurais probablement passé l’essentiel de mon temps dans un hopital psychiatrique». Pourtant, Antichrist est bel et bien un film de fou. Un film fou et un film de fou, une séance d’hypnose convoquant les enfers de Bosch et les hurlements de Munch, n’ayant jamais peur de l’outrance car sur le fil du ridicule, Lars Von Trier, qui peut faire parler les renards ou danser les biches, retombe toujours du bon côté – celui du sublime. Formellement, de son prologue à ses bois hantés, le film est un carnage incroyable, une tuerie de mise en scène où le prétexte mélodrame (un couple endeuillé par la perte de leur enfant) est voilé par l’hésitation fantastique où tout n’est que projection surnaturelle. Sorcières de Bergljot Hobaek Haff, mauvais esprits sylvains, dans une Nature qui n’est autre que l’église de Satan. Ce dernier aurait-il un visage féminin ? Autre tarte à la crème, la misogynie abjecte du cinéaste, avec un film qui, ici, tend la joue et attend la gifle. L’argument fantastique ne laisse que peu de doutes, le crime n’a pas de sexe, il est avant tout un sentiment de culpabilité, un désespoir aliénant et masochiste qui réveille le Mal en soi, mère qui se voit sorcière – mais est-ce bien elle qui fait pleuvoir les glands ? «Je ne pense pas que les femmes, ou leur sexualité, soient le Mal, mais c’est effrayant». Au pire, plus qu’une vision misogyne, Antichrist s’inscrit davantage dans une approche puritaine, de femme sainte ou de diablesse, d’icône qui prend place ici dans une sorte de conte.
«Ce serait beau si c’était un conte pour enfant», déclare l’un des personnages. Et, malgré ses effusions de sang, malgré la torture, Antichrist baigne dans une imagerie de conte (mais ne sont-ils pas, eux aussi, marqués par le sang et les tortures diverses ?). Une balade parmi les bestioles de La Nuit du chasseur, les murmures derrière chaque arbre, et le Mal en masque de chagrin, dans une plongée démente, fascinante, hantée, autel d’une possession comme rarement vue à l’écran et dont les comédiens sont les instruments exceptionnels. Willem Dafoe, pas un nouveau venu dans l’univers du Danois, mais surtout Charlotte Gainsbourg, primée, comme une évidence, au dernier Festival de Cannes, offrant une performance possédée qui donne toute sa folle urgence au film. Provocation ou vision de génie ? Folklore sorcier ou bouge misogyne ? «Manquement à l’éthique morale du cinéma», comme entendu dans la bouche d’une mémé cannoise éclairée, ou honnêteté radicale ? On aura déjà choisi notre camp. Mais pour tous, une seule certitude – le chaos règne.