Adrien Brody

Adrien Brody
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Acteur
États-Unis

Le sacre a lieu peu avant le printemps, sur la scène du Kodak Theatre. Le plus jeune lauréat de l’Oscar du meilleur acteur fait trembler l’auditorium. Galvanisé par l’ovation, Adrien Brody s’élance vers une Halle Berry estomaquée et l’embrasse fougueusement. Le temps de bredouiller quelques remerciements, à peine celui de flirter avec les astres, l’heureux élu est invité à redescendre sur un strapontin. Coup de théâtre: Brody décide de rester. L’impertinent fait taire l’orchestre, le parterre d’étoiles ébahies applaudit à tout rompre. La révélation du Pianiste sabote le chronomètre, fustige la guerre en Irak et laisse entrevoir, au-delà des mots embués et enflammés, une certaine idée du panache.

SEUL AU MONDE

Deux ans avant l’offensive de charme, Adrien Brody envoyait tout gambader. Comme Wladyslaw Szpilman, le pianiste rescapé de la Shoah et le rôle qui lui offrira l’Oscar (et un César!), l’acteur précipite sa fuite. Brody s’apprête à séjourner huit mois en Pologne, sous la direction de Roman Polanski. Il quitte ses proches et son New York natal, condamne la porte de son appartement, jette la clé, revend sa voiture, fait une croix sur son couple. Il apprend le piano, s’exerce aux envolées fiévreuses de Chopin. Il perd du poids dès les premières semaines de tournage, ses joues se creusent, son corps s’évide et se détraque. Le régime draconien l’isole et le cloue sur place; essoufflé, il peut à peine monter sur une échelle. Ne restent alors que les yeux, les paupières affaissées: le vert olive et abîmé redouble d’intensité. Momifié d’avance, à moitié enseveli sous les ruines, Adrien Brody chavire, écartelé entre deux mondes. Le Pianiste repose tout entier sur ce corps décharné, transporté d’une chambre à un cellier, consigné derrière une étagère, désespérément claquemuré. La performance physique, qui plaît tant aux cérémonies et aux Oscars, atteint ici ses limites. Brody désarticulé: le corps instrumentalisé de Szpilman est lui aussi désaccordé. A quelques pas de la fosse commune, l’acteur trouve le moyen de résister à l’usure sans sombrer dans le cabotinage. Les mains violettes, le visage exsangue et la carcasse déglinguée ne suffisent à ternir l’éclat de la voix et du personnage.

PIERROT PARMI LES FOUS

Adrien Brody grandit à Woodhaven dans le Queens. Enfant unique, parents modestes et aimants, ascendants polonais et hongrois. Le garnement est maigrichon, plus menu qu’un canari, flanche au moindre bras de fer et ne tient pas en place. Sylvia Plachy, sa mère journaliste et photographe, tente de le distraire en l’emmenant avec elle sur les lieux de ses reportages. Brody se familiarise avec l’objectif, sert occasionnellement de modèle et se prend au jeu. L’imagination fait le reste: l’enfant se verrait bien en haut de l’affiche. Elliott Brody, son père professeur d’histoire, s’installe même avec lui à Los Angeles quand une sitcom éphémère fait appel à ses services (Annie McGuire, où il tient la jupe de Mary Tyler Moore). Adrien Brody a quinze ans. Deux ans plus tôt, il pointait le bout du museau dans un téléfilm et un spectacle off-Broadway. Le film à sketches New York Stories le crédite aux côtés du trio magique Francis Ford Coppola, Woody Allen et Martin Scorsese. Son apparition fantomatique dans Life Without Zoe mériterait une expertise, mais la roue de la Fortune tourne du bon côté. La petite frappe de King of the Hill (Steven Soderbergh) accole une étiquette de voyou déphasé. Après un rôle de moucheron junkie auprès de Mickey Rourke (Bullet), c’est Spike Lee qui entérine la rébellion. Richie, le punk italo-américain soupçonné d’être un serial killer, cache derrière ses pics et ses colliers cloutés une sensibilité insoupçonnée.

KISS KISS BANG BANG

A la ville, c’est encore un autre homme, un croisement entre le paon et le fakir. Côté cour, un bad boy qui roule des mécaniques, affectionne les grosses cylindrées, tâte ses pectoraux, secoue ses pendentifs tête de mort, ses chaînes en or 18 carats et se passionne pour le hip-hop. Côte jardin, un teddy boy intimidé qui bichonne son chihuahua, une fashionista avisée qui remplit sagement, mais sûrement, sa penderie. A l’écran, aucune coquetterie ne transparaît. Adrien Brody a le goût du clinquant mais surtout de l'incongru et de l'inconnu. Sa curiosité le pousse à voir plus loin que le bout de son nez, sa première et proéminente signature (fracturée pendant le tournage de Summer of Sam). Rétrospectivement, les principaux jalons de sa filmographie obéissent à une même logique affective. Héros engagé (le reporter de guerre d’Harrisson’s Flowers, le syndicaliste de Bread and Roses), ancré dans l’Histoire (Liberty Heights, Le Pianiste), héros fêlé (un fou dans Le Village, un amnésique dans The Jacket), voire aliéné (le psychopathe d’Oxygen): Brody n’a pas les épaules pour les rôles de vrai macho, il leur préfère des gringalets, des tourmentés et des insoumis. Peter Jackson, Fran Walsh et Philippa Boyens l’imaginent en dramaturge plutôt qu’en baroudeur. King Kong cru 2005 façonne le héros romantique. Découvert in extremis, après bien des palabres et des faux départs, Adrien Brody n'a, au fond, qu'un seul regret. Celui d'avoir été (en grande partie) éclipsé du montage de La Ligne rouge de Terrence Malick. Le Pianiste fera office de beau rattrapage.

par Danielle Chou

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2006 Manolete 2005 I'm not Here: Suppositions on a Film Concerning Dylan 2005 Truth, Justice and the American Way 2005 King Kong 2004 The Jacket 2004 Le Village 2003 Le Pianiste 2001 Love the Hard Way 2001 L'Affaire du collier 2000 Harrisson's Flowers 2000 Bread and Roses 1999 Liberty Heights 1999 Summer of Sam 1998 La Ligne rouge 1997 The Last Time I Committed Suicide 1997 J'ai épousé un croque-mort 1996 Bullet 1992 King of the Hill 1989 New York Stories

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