Village (Le)
The Village
États-Unis, 2004
De M. Night Shyamalan
Scénario : M. Night Shyamalan
Avec : Adrien Brody, Brendan Gleeson, Bryce Dallas Howard, William Hurt, Sigourney Weaver
Durée : 1h48
Sortie : 18/08/2004
Dans le village qui borde la forêt de Covington, le quotidien est troublé par la peur. Les habitants doivent apprendre à vivre avec des créatures fantastiques cachées dans les bois qui, attirées par les couleurs vives ou échaudées par les visiteurs, n’hésitent pas à rendre visite aux humains effrayés.
LE SECRET DERRIERE LA PORTE
D’abord, il y a les arbres et leurs multiples branches qui s’étirent vers le ciel voilé. Puis il y a des mains, les doigts tendus vers l’obscurité, attirés par l’impalpable. Quels secrets résident encore dans l’ombre des bois ou dans la noirceur des nuits? Tout chez M.Night Shyamalan est une question de point de vue, des incertitudes fantômes de Bruce Willis au halo de mystère qui entoure le village. Une hésitation toute fantastique. En une scène, stupéfiante de beauté, le réalisateur peint le portrait d’un genre, où une main aveugle est offerte au vertige de l’invisible, hésitant l’espace d’un tremblement entre les monstres fabuleux et les créatures de chair. Le Village est un film fétichiste qui laisse deviner toutes les chimères derrière chacune de ses innombrables portes, filmées comme autant d’ouvertures béantes vers l’imaginaire. Shyamalan manie la suggestion comme un Tourneur des grands jours, celui qui orchestre, dans L’Homme léopard, un meurtre monstrueux derrière une porte qui reste désespérément fermée, ne laissant paraître qu’un mince filet de sang. Les bois touffus sont un même gouffre d’attraction dont les barrières naturelles stimulent un désir toujours plus vif. Shyamalan hérite également des héros du réalisateur français, de ces individus face au vide, confrontés à des forces qui les dépassent mais qui pourtant font partie d’eux-mêmes. Ceci s’applique aussi bien aux fantômes et super-héros ignorés dans Sixième sens et Incassable, qu’à la crise de foi du pasteur dans Signes ou aux craintes et utopies de villageois qui repoussent au-delà de la forêt des miroirs insoutenables. L’énigme du village n’est-elle pas plus grande encore que celle des bois, repère des sorcières et des bêtes voraces?
LA MARQUE JAUNE
En début d’année, Tim Burton offrait, au détour d’un chemin perdu de Big Fish, la vision ensorcelée d’un village d’Eden, communauté loin de tout et entourée d’une forêt malveillante, havre de paix supposé mais pourtant gardé par un rescapé de Délivrance. De quoi mettre la puce à l’oreille quant à l’ironie du cinéaste, plus prompt aux horreurs rurales de Sleepy Hollow qu’à une propagande communautariste. Sur un ton radicalement différent, M.Night Shyamalan s’interroge lui aussi sur cette communauté si américaine, jusqu’à remonter aux fondements d’un pays tout entier. Deux siècles avant les turpitudes du village, les Pilgrim Fathers débarquaient de leur Mayflower pour fonder leur communauté idéale (puisque les horizons lointains sont inhospitaliers) sur les côtes encore sauvages d’une terre prise pour vierge. Chez Shyamalan, l’idéal, le paradis parfait, est toujours ambigu. Près de la forêt de Covington, le temps semble suspendu au rythme des alertes, des rituels et des superstitions, entre quelques bals aux pieds flottants, éphémères digressions aux inquiétudes de chaque instant. D’un film de peur, Shyamalan parvient à signer un film sur la peur et sur son pouvoir. Sur le repli et l’enfermement, sur la peur de vivre, et ses échos par delà les temps. Pour ne pas ressentir cette crainte dans la communauté, il faut être rebelle à l’élocution mal assurée, gagné par la folie ou atteint de cécité. Comme d’autres déplacent les montagnes grâce à leur foi retrouvée, un amour aveugle peut éclairer les sombres sentiers des bois étranges. Et Shyamalan, sur la sublime partition de James Newton Howard, de sonder les soubresauts de l’intime au cœur même de la communauté.
LIFE IS LONG AND LOVE IS DEEP
Dans un monde aux règles précises, dans cette mini société où le rouge vif est une sonnerie d’alarme, où l’on peint la peur sur les portes et où l’on croise des gris-gris de sorcellerie dans la forêt, il y a quelques timides ouvertures pour ses enfants les plus purs, aux âmes les plus sauvages. D’un mode de vie aux angles droits, la transgression vient des irrégularités de l’esprit ou du cœur, étrangères aux lois de l’homme et à son fol espoir d’idéal. Avec la délicatesse d’un roman de Brontë, à travers une approche quasi asiatique du fantastique pour un sujet intrinsèquement américain, Shyamalan touche à l’universel tout en se concentrant sur ses quelques figures. Ivy, épaule et regard du film, interprétée par la sidérante révélation Bryce Dallas Howard, est peut-être la plus belle héroïne de la filmographie du réalisateur. Ivy dans la brume d’un village dont l’histoire s’ouvre sur une pierre tombale, celle qui veut mener la danse, et qui voit le monde, mais d’une autre façon. Ivy, personnage de l’hésitation fantastique, jetant les pierres de superstition à l’eau mais pleurant ses couleurs de protection souillées, filmée admirablement par un Shyamalan au plus près des visages, de la mort dans les yeux, de la foi des regards aveugles, des attentes d’Alice (Sigourney Weaver) et des doutes d’Edward (William Hurt), ou d’une absence, chaise vide, face à la forêt dévorante. Le réalisateur prodige, serviteur du plan parfait, offre peut-être avec Le Village sa plus belle mise en scène, capturant la grâce de ses personnages et de leurs pas, l’onirisme de conte de fées lors d’une sidérante incursion en forêt, et le rythme de cœurs qui battent, d’amour ou de peur.