Gus Van Sant
Enfant de la culture pop et intello expressionniste, Gus Van Sant a souvent eu le don de surprendre durant sa carrière. De l'indé pur jus au classicisme à Oscars en passant par le remake blasphématoire, gros plan sur un metteur en scène libre.
WE ALL GO A LITTLE MAD SOMETIMES
1998: Psycho, remake de la Bible de Sir Hitchcock réalisé par Gus Van Sant, sort en salles aux Etats-Unis. Le film rentrera dans ses frais, mais l'accueil sera exécrable. Les interrogations fusent, où est donc passé l'espoir du cinéma indépendant US, déjà quelque peu absorbé par les studios pour qui il filme un sage Will Hunting croulant sous les nominations aux Oscars? Qu'est devenu l'homme jadis derrière l'introuvable Mala Noche ou le culte My Own Private Idaho? Réduit à la botte de Miramax et contraint à la remakisation fonctionnelle de classique d'antan? Vaines interrogations: le parcours de Van Sant a beau sembler très hétérogène, il n'en ressort pourtant rien moins qu'une profonde homogénéité, qu'il s'agisse de la forme ou du fond. Le reflet d'un réel auteur, quel que soit le carcan. Ainsi, même en reprenant pratiquement plan pour plan le chef-d’œuvre du maître du suspens, Van Sant parvient à imposer sa marque, à déployer une esthétique qui lui est propre et une thématique qui parcourt son œuvre. Il en va de même pour chacun de ses longs métrages, où se développent divers échos que l'on peut arbitrairement regrouper en trois réseaux: la représentation d'une famille dysfonctionnelle, l'expressionnisme des sentiments et de la sexualité, et l'esthétique du double.
FAMILLE JE VOUS AIME
En 1989, Gus Van Sant réalise son second film après le rare mais estimé Mala Noche. Il s'agit de Drugstore Cowboy, un road movie où de jeunes camés sont à la recherche d'argent afin de satisfaire leur addiction. Dès lors, Van Sant établit l'un des thèmes récurrents de son œuvre, celui de la famille recomposée. Ses personnages de solitaires incompris, soudés entre eux, figurent une famille particulière, de celles qui se choisissent. De la même façon, Van Sant, accusé d'avoir abandonné une partie de sa personnalité pour filmer Will Hunting, insuffle une thématique très voisine. Will (Matt Damon), le surdoué en marge, voit sa solitude brisée par l'apparition de la figure paternelle sous le visage de son psy, Sean Maguire (Robin Williams). La quête d'une famille se fait ici par la force, alors que celle-ci est encore plus directe dans A la recherche de Forrester, qui établit la même relation entre un jeune garçon et un homme d'expérience, en appuyant ici la position de Pygmalion que l'un a par rapport à l'autre (l'écrivain en herbe contre l'auteur de best-seller chevronné). De même, dans My Own Private Idaho, Bob Pigeon devient le père de substitution de Scott (Keanu Reeves). Quatre films et quatre visages très proches de rapports familiaux comme gilet de sauvetage et soutien indispensable pour des héros esseulés. Parfois, la greffe ne prend pas, voir le noyau reconstitué de Last Days, tentative désespérée qui finit par exploser dans son no man's land de bois.
100% TE LJUBAM
Chez Van Sant, l'amour est souvent malheureux, malmené ou incongru: dans Mala Noche, un jeune homme s'éprend d'un Latino à peine majeur qui fréquente sa boutique, dans My Own Private Idaho, l'histoire d'amour entre Mike (River Phoenix) et Scott (Keanu Reeves) est impossible, la relation que Suzanne (Nicole Kidman) entretient au sexe dans Prête à tout fait passer l'amour en second plan, la relation des deux amoureux dans Will Hunting demeure très orageuse et enfin dans Psycho, on aime à coups de scalpel. Les deux exemples les plus intéressants sont ici My Own Private Idaho et Psycho. Le premier fait état d'une histoire d'amour filmée comme une tragédie théâtrale. Déjà Van Sant exprime son goût pour l'expressionnisme de par son utilisation de la lumière, des corps et des dialogues. A la fin du film, Reeves diabolisé est éclairé de rouge, Bob, gagné par la mort, est éclairé de blanc, les personnages clament leur texte à genoux et les images mentales (ici la maison, utilisée comme icône de terreur lynchienne, ou les images accélérées du ciel blanc de l'Idaho) participent à cet expressionnisme pop que l'on retrouve dans le remake hitchcockien. En effet, la tension sexuelle chez Van Sant obéit à la même esthétique entre pop art et expressionnisme. Le meurtre de Marion Crane est hanté par les mêmes images mentales qu'à la fin de My Own Private Idaho (un ciel, cette fois de tempête, qui défile en accéléré), Van Sant y ayant recours une seconde fois lors du meurtre d'Arbogast (qui revoit sa journée passée dans un club de strip-tease).
MIROIRS DEFORMANTS
Psycho est bien évidemment l'exemple le plus représentatif de la fascination que Van Sant voue à la réincarnation, au double. En reprenant plan pour plan l'original et en y ajoutant la couleur, il est néanmoins parvenu à installer une esthétique qui lui est propre. Le réalisateur y décale également sa photocopie en chamboulant sexuellement l'original: Lila Crane, jeune sœur effacée dans l'original, devient une femme de poigne dopée aux hormones, Sam Loomis devient une icône gay en costume kitsch, cheveux plaqués ou nu aux pieds d'un lit et, dans les profondeurs de l'iceberg scénaristique, un acteur homosexuel (Perkins) laisse place à une comédienne lesbienne (Heche). Van Sant s'est également auto-remaké avec Will Hunting et A le recherche de Forrester, les deux films mettant en scène des figures (maître et élève) et des trames (apprentissage et dépassement de soi) extrêmement similaires. C'est ainsi: le réalisateur se plaît à étaler ses obsessions et ses thèmes de prédilection à travers des films qui se répondent. Et finissent par se compléter, voir sa trilogie expérimentale composée de Gerry, Elephant et Last Days, où le réalisateur explore une autre façon de raconter une histoire par la mise en scène, faisant la part belle au sens pour coller au plus près des sentiments insaisissables de ses personnages. Après sa participation décevante au projet Paris, je t'aime, Van Sant s'est tourné vers d'autres défis avec Paranoid Park, récit d'un jeune skater dont le quotidien va tourner au drame suite à un accident.
Filmographie sur FilmDeCulte
- 2018 (Réalisateur) Don’t Worry, He Won’t Get Far On Foot
- 2015 (Réalisateur) Nos souvenirs
- 2012 (Réalisateur) Promised Land
- 2010 (Réalisateur) Restless
- 2008 (Réalisateur) Harvey Milk
- 2007 (Réalisateur) Paranoid Park
- 2007 (Scénario) Paranoid Park
- 2006 (Réalisateur) Paris je t'aime
- 2006 (Scénario) Paris je t'aime
- 2005 (Réalisateur) Last Days
- 2005 (Scénario) Last Days
- 2003 (Réalisateur) Elephant
- 2003 (Scénario) Elephant
- 2003 (Acteur) Larry Clark: Great American Rebel
- 2002 (Réalisateur) Gerry
- 2002 (Réalisateur) Gerry
- 2002 (Scénario) Gerry
- 2002 (Scénario) Gerry
- 1985 (Réalisateur) Mala Noche
- 1985 (Scénario) Mala Noche
En savoir plus
2004 Last Days 2003 Elephant 2002 Gerry 2000 A la rencontre de Forrester 1998 Psycho 1997 Will Hunting 1995 Prête à tout 1993 Even Cowgirls Get the Blues 1991 My Own Private Idaho 1989 Drugstore Cowboy 1985 Mala Noche