Hommes de mains, de pouvoir, instruments des puissances obscures ou politiques, Indiana Jones a toujours su choisir ses ennemis. Voici une présentation des troubles-fête, leurs accointances, leurs buts, et ce qui les mènera à leur perte.

Voleur mystique et illuminé, l'ennemi du Dr Jones dans Les Aventuriers de l'Arche perdue n'est pas vraiment mauvais. René Belloq ne fait qu'un seul geste, il retourne sa veste. Toujours du bon côté, celui des nazis en l'occurrence, qui lui permettront de communiquer avec Dieu via l'Arche d'Alliance. Paul Freeman, acteur anglais, est la première incarnation de la classe « gentleman » des ennemis d'Indiana. Ceux qui ne se salissent pas les mains, ni ne risquent leur vie, mais parviennent à saisir au bon moment l'objet que d'autres ont poursuivi : l'idole en or, puis l'Arche. A l'instar de Donovan dans La Dernière Croisade, Belloq n'est pas dupe du pouvoir nazi, instrument colossal, mais instrument tout de même. On ne peut s'empêcher d'aimer un peu ce salaud suave, que ses ambitions extermineront, car Belloq dispose avec classe des importuns, saluant d'un « Adieu » un Dr Jones emmuré vivant. La classe et la fourberie française, que l'opportuniste en personne aurait dû incarner : Jacques Dutronc avait refusé le rôle.

De par son orientation très fantastique, Le Temple maudit devait introduire un personnage symbolique. Oubliez le charme désuet de la petite bourgeoisie française. Ici l'occulte emporte Indiana Jones corps et âme, par le sang et le sacrifice, jusqu'au royaume de Kali. Le théâtral Mola Ram tire en coulisses les ficelles du palais de Pankot, réduisant à l'esclavage les enfants, arrachant le coeur des adultes. Regard noir, rire dément, pouvoirs magiques : Mola Ram renvoit tout droit aux nouvelles de Robert E. Howard (Conan le Cimmérien), et autres chefs d'oeuvres pulp des années 30, dont Lucas et Spielberg se sont inspirés. Aucun charme cette fois : le Mal à l'état pur, traître et sans pitié. Un méchant radical, non judéo-chrétien, qui fait du Temple maudit une aventure beaucoup plus noire et violente. Spielberg lui-même reniera longtemps le film, comme si Mola Ram, brisant le quatrième mur, l'avait hypnotisé. L'Indien Amrish Puri restera célèbre pour ce rôle, et continuera, jusqu'à la fin de sa vie, à se raser le crâne. Kalimaaa... Kalimaaa... Kalima shakti dé !

 

En revenant à l'Ancien Testament et aux nazis, La Dernière Croisade revient à une figure plus classique. Semblable à René Belloq, donc. Mais Walter Donovan (Julian Glover) est avant tout un traître : un mécène américain aveuglé par sa quête du Saint des Saints, le Graal. Il utilisera lui aussi l'instrument nazi, pour assouvir sa quête d'immortalité. Cultivé, ambitieux, cynique et glacial, Donovan n'est pas la némésis la plus mémorable de la saga. Il est une sorte de reflet en négatif d'Henry Jones Sr, recherchant le Graal pour lui-même, et non pour l'Histoire. Ce qui le perdra, bien entendu. Dans le cas du Graal, il s'agit bien du flacon, et non de l'ivresse. Quand arrive l'heure du choix, Donovan commet une erreur d'interprétation quant à son aspect. Il ne peut emporter ce concours d'érudition, sa soif voilant sa lucidité et sa culture. Et Spielberg et Lucas de démontrer une fois de plus que Dieu balaie d'un souffle les ambitieux, réduisant leurs atomes en poussière, effaçant l'éphémère croix gammée.

 

Vingt ans plus tard, Le Royaume du crâne de cristal passe à gauche avec Irina Spalko (Cate Blanchett), préférée de Staline, reine de la râpière et du psychisme. La volonté de l'URSS ne pouvait être mieux incarnée que par une femme, en opposition totale avec la virilité bourrue du Dr Jones. Un condensé de mythologie soviétique inédit et rafraîchissant qui s'éloigne des érudits décrits plus haut, et allie le mysticisme d'un Mola Ram à la résolution de la nouvelle puissance de l'Est. Athlète, beauté, esprit aiguisé, Spalko symbolise parfaitement la mécanique séduisante mais traître du régime stalinien. Elle en possède évidemment tous les défauts, dont cette ambition inébranlable, qui ne supportera pas le savoir qu'elle a pourtant exigé. Une autre métaphore de la destinée du régime, qui implosera trente ans plus tard. Avec Le Royaume du crâne de cristal, Irina Spalko devient aisément l'ennemie la plus fascinante d'Indiana Jones, après le terrible Mola Ram. Décidément, les méchants sont plus réussis lorsqu'ils flirtent avec le fantastique. On en voudrait volontiers un cinquième...


Benjamin Hart