Dans la bonne tradition du serial, l’élément féminin, retraite du héros, a son importance. On a vu les poupées jetables s’intervertir chez James Bond, Indiana Jones a aussi ses conquêtes. Blonde ou brune, rebelle, vaniteuse ou traîtresse, elles suivent Indy cahin-caha dans ses aventures et apportent souvent bien plus que le repos du guerrier.

 

Marion Ravenwood est la première Indy girl historique – interprétée par Karen Allen. Elle est un reliquat des jeunes années d’Indy. Perdue dans un bui-bui du Népal, prise au piège dans les neiges de l’Himalaya, Indiana Jones doit renouer contact avec elle afin d’obtenir un objet en rapport avec l’Arche d’alliance. Dès sa première apparition dans Les Aventuriers de l’Arche perdue, Marion est décrite comme une femme à poigne, obligée pour survivre de rivaliser avec la brutalité de l’univers masculin. Un trait de caractère probablement hérité de sa relation adolescente avec un Indiana Jones plus âgé et dont la rupture l’aurait forcée à se forger une carapace protectrice. Dommage d’ailleurs qu’elle ne garde pas cette force à mesure que le film avance. Une fois arrivée au Caire, elle retrouve les caractéristiques d’une femme-victime que le héros doit sauver. Elle apporte pourtant au personnage d’Indy une certaine épaisseur, lui donnant un passé, même flou et incertain, ainsi qu’une certaine faiblesse. Le héros rouvrira ainsi d’anciennes blessures, le souvenir d’un père spirituel, son mentor, le professeur Abner Ravenwood, qu’il a « tué » en fréquentant sa fille et donc sa presque-sœur (l’inceste, un thème récurrent chez George Lucas?). Indy, qui aurait pu être monolithique, a donc un talon d’Achille au travers de sa relation ambiguë avec Marion. Ils ne consommeront pas vraiment, Indy préférera s’endormir de fatigue dans la cabine du steamer, le Bantu Wind, et, lors de l’épilogue, elle lui proposera juste de lui « payer un verre » comme un signe de paix fraternelle, mais non d’affection sentimentale. Toutefois, Marion Ravenwood brise le cercle d’une Jones girl par aventure, puisqu’elle figure au casting du quatrième volet des aventures d’Indiana Jones : Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal.

 

Souvent mise de côté par les fans, Willie Scott mérite une réhabilitation complète. La future femme de Steven Spielberg, traitée d’hystérique par les détracteurs, est pourtant l’une des pièces maîtresse d’Indiana Jones et le temple maudit. Kate Capshaw parvient à composer un personnage cohérent d’un bout à l’autre du film, contrairement à une Marion Ravenwood dont la femme forte s’évapore à mesure que le film avance. Willie commence comme une artiste gâtée, inadaptée à suivre un Indiana Jones qui surjoue son rôle de macho de service. Elle restera dans la peau d’un personnage habitué au luxe et aux servants, une oie blanche abonnée au luxe et à la civilisation occidentale. Kate Capshaw y insuffle un tempo comique parfait, notamment lors de la scène de séduction entre Indy et Willie au palais de Pankot. Leur ballet admirablement chorégraphié par un montage astucieux rappelle les comédies burlesques des années 30, les deux personnages se renvoyant leur propre arrogance à la figure jouant sur les quiproquos avant que la noirceur du palais de Pankot ne les rattrape. Dans la même veine, c’est à travers ses yeux que l’on découvre le menu plutôt particulier de la scène du banquet. A tel point que l’on pourrait croire que le serpent farci ou la soupe aux yeux ne sont que des plats déformés et issus de l’imagination de Willie, privée de son cadre de vie. Le personnage de Willie Scott marque une nouvelle étape dans l’évolution du personnage d’Indy – car n’oublions pas que tous les personnages ne sont que des faire-valoir, au sens noble du terme, d’Indiana Jones – en ajoutant un cran supplémentaire à sa maturité. Les sous-entendus sexuels se font plus nombreux et la notion de couple est plus forte qu’avec Marion. Jusqu’à recréer une famille de substitution, Demi-Lune devenant l’enfant des deux personnages.

 

Troisième Jones girl et première méchante du lot, la jolie Elsa Schneider – incarnée par l’irlandaise Alison Doody –, assistante de Henry Jones Sr. et espionne pour le IIIe Reich. La Jones girl de la Dernière Croisade est probablement celle qui a le pedigree le plus proche de la Bond-girl puisqu’il n’est pas rare que l’une de ces charmantes créatures ne cherche à séduire James Bond pour mieux pouvoir le tuer ensuite. Elsa Schneider n’est plus seulement une Indy girl de plus, elle devient du même coup le symbole de la lutte latente entre le père et le fils. Ce qui permet aussi d’évoquer pour la première fois l’âge grandissant d’Indy, puisqu’Henry Jones Sr. pourrait être « son grand-père » (sous-entendu : Indy se considère déjà lui-même comme trop vieux pour elle). C’est l’antithèse de Marion Ravenwood (qui s’était déjà retrouvé coincée entre Indy et son père spirituel), une femme froide, calculatrice et cupide là où Marion s’avérait être plus organique et spontanée.

Nicolas Plaire