A force de les avoir lues ou entendues ça et là, tout le monde ou presque connaît aujourd’hui les fameuses anecdotes concernant la genèse d’Indiana Jones. Comment le personnage qui doit autant à James Bond qu’au chien de George Lucas fut mentionné une première fois autour d’un château de sable construit par Lucas et Steven Spielberg au lendemain de la sortie de La Guerre des étoiles. Comment le personnage acquit les traits d’Harrison Ford suite au désistement de Tom Selleck pour cause de contrat sur la série Magnum. Comment le personnage fut caractérisé en un gag inoubliable (Indy tirant sur son adversaire adepte du sabre) pour cause de turista générale sur le plateau. Ainsi naissent les légendes… Il nous est donc inutile de ressasser ce folklore à présent notoire ou encore de délibérer sous forme de critique de la qualité des films en question, dans la mesure où tout un chacun s’est déjà façonné son avis concernant ce célèbre cycle. Nous choisirons plutôt de nous intéresser à certains aspects moins fréquemment évoqués de cette saga que beaucoup (Spielberg inclus !) attribuent encore davantage à leur créateur-producteur George Lucas qu’à leur auteur-réalisateur Steven Spielberg. Aujourd’hui encore, les gens craignent l’implication de l’homme responsable de La Menace Fantôme dans le quatrième volet des aventures d’Indiana Jones. Ce serait oublier à quel point Spielberg s’est approprié, par le biais de ses thèmes et références, le héros imaginé par son fidèle comparse et, ce faisant, le film et la franchise à venir…

 

Se rappelant les serials de son enfance, Lucas apportait l’idée de remettre au goût du jour ce genre d’héritage cinématographique tandis que la contribution de Philip Kaufman (pré-L’Etoffe des héros) était l’inclusion de l’Arche d’Alliance, mais ni l’un ni l’autre ne souhaitait écrire le scénario. Contrairement à ce que l’on croit, ce n’est pas suite à L’Empire contre-attaque que Lawrence Kasdan fut embauché par Lucas pour écrire Les Aventuriers de l’Arche perdue (en réalité, c’est l’inverse). Kasdan fut le choix de Spielberg, impressionné par ce qui allait devenir le méconnu Continental Divide (film de Michael Apted sorti en 1981 et produit par Spielberg). Cela dit, la réplique prononcé par Jones, « Je ne sais pas, j’improvise au fur et à mesure », demeure assez représentative de l’état d’esprit dans lequel fut écrit le film. Ainsi Indiana Jones est-il comme le requin des Dents de la mer ou même Avner dans Munich, à savoir nécessitant d’être constamment en mouvement. Et ce n’est là que l’une des multiples caractéristiques spielbergiennes que présente le protagoniste. Sous l’égide de son metteur en scène, le héros s’éloigne du modèle de playboy initialement envisagé par Lucas pour devenir un Monsieur Tout-le-monde dans la plus pure tradition du réalisateur. « En premier lieu, un académicien, un aventurier ensuite », comme l’explique Harrison Ford. Avec ses lunettes et son costume, il est le Professeur Jones à la ville, mais avec son chapeau et sa veste en cuir, il devient Indiana Jones. Une double identité, comme on pourrait en trouver dans les comics, autre référence de Spielberg qui ira même débaucher Jim Steranko, dessinateur chez Marvel, pour illustrer le héros lors de la pré-production.

 

Vêtu à la manière de Charlton Heston dans Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille, inspiré de Humphrey Bogart dans Le Trésor de la Sierra Madre de John Huston, Indiana Jones selon Spielberg ne tient pas uniquement de ces quelques référents cinéphiliques, mais également de la personnalité de son auteur. Il incarne un Peter Pan invincible, moitié enfant, moitié dieu, tout en étant vulnérable contrairement à beaucoup de héros du genre. En effet, ce premier épisode entame la thématique du rapport à l’enfance et à la filiation qui parcourt la saga. Ici, Indiana Jones est un grand gamin, tout seul, qui n’a de comptes à rendre à personne. On y apprend qu’il a eu une liaison avec Marion lorsqu’elle n’était encore qu’une adolescente, avant de l’abandonner salement et, lorsqu’il retourne la voir, ce n’est au départ que pour son médaillon. Sans aucun doute la plus marquante des Jones Girls, Marion présente deux facettes différentes : l’une, très classique, dans sa romance et sa joute avec le héros, l’autre, celle d’un garçon manqué, s’avère la plus intéressante. Avant un certain moment, Jones ne la voit presque que comme une partenaire de jeu plutôt qu'une femme sexuée. Dans un premier temps, c'est Belloq qui la reconnaît en tant que telle, en lui offrant une robe (alors qu'elle est habillée comme un garçon le reste du film), en la regardant se changer dans le miroir, en la faisant boire, etc. Et lorsque s’effectue le premier rapprochement sexuel/romantique entre Marion et Indy, il passe tout d'abord par un jeu d'enfants (les baisers lorsqu’elle le soigne sur le bateau). Dans ce premier tome, Indiana Jones n'est encore qu'un gamin. Par la suite, au travers des trois autres chapitres, son personnage évolue, notamment au contact des nouvelles femmes dans sa vie et de ses divers sidekicks

 

Principe immuable de la série, la quête d’un artefact sacré intervient pareillement pour témoigner de l’empreinte du cinéaste dont l’œuvre traite régulièrement du rapport au divin par l’intermédiaire du surnaturel. A l’instar du camion semblablement dépourvu de conducteur (Duel), du requin anormalement grand et peu farouche (Les Dents de la mer) ou de l’appel venant d’ailleurs (Rencontres du troisième type), le cinéma de Spielberg, à ses débuts, s’oriente de plus en plus vers un cinéma de révélation, de transcendance, et Les Aventuriers de l’Arche perdue ne déroge pas à la règle. Dans chacun des films, Indiana Jones est recruté. La quête de l’Arche, des Pierres de Sankara ou du Graal n’est jamais la sienne au départ. Dans le troisième film, il refuse même le « contrat » avant d’apprendre que son père a disparu. A l’amorce de chaque aventure, notre héros ne croit pas au surnaturel, ce n’est qu’au cours du récit qu’il obtiendra la foi. Contrairement à Belloq et aux nazis présents lors de l’ouverture de l’Arche, Jones respecte le pouvoir de Dieu (et ferme les yeux, étant ainsi épargné). Tout comme il rechigne à la « fortune et gloire » promise par les diamants que sont les Pierres de Sankara, préférant la rendre aux villageois qui confèrent aux Pierres des vertus divines. Sans parler du troisième film qui se conclut sur des épreuves appelant directement à sa foi (« Le pénitent est humble, il s’agenouille devant Dieu » ou encore le Saut de Dieu, « c’est le saut de la foi »).

 

Dans le sempiternel débat opposant les trois premiers films de la licence, Les Aventuriers de l’Arche perdue s’en sort généralement haut la main. Tandis que le second est considéré trop sombre par certains et le troisième trop comique, ce premier acte semble proposer au public et aux critiques la mixture parfaite entre l’histoire et l’action, entre humour et fantastique, tout en posant la première pierre à l’édifice du mythe Indiana Jones. Marion, Sallah, Marcus, les nazis… autant de personnages qui réapparaîtront par la suite et restent à jamais gravés dans nos mémoires. Difficile de remettre en question la qualité de divertissement intelligent de ce chef-d’œuvre et pourtant on utilise encore ce film comme exemple, au même titre que Les Dents de la mer et La Guerre des étoiles, pour accuser Spielberg et Lucas d’avoir engendré le blockbuster tel qu’on le connaît aujourd’hui et, par là même, la dégénérescence du cinéma hollywoodien. En conférant des budgets de série A à des films de série B, et suite au succès phénoménal au box-office de ces films, les studios auraient ainsi signé la mort du septième art au profit du spectaculaire. Si l’on peut regretter l’état actuel de la production cinématographique américaine, on ne saurait en imputer la faute à Spielberg et Lucas, surtout lorsqu’ils nous


Robert Hospyan