Dernière Tentation du Christ (La)

Dernière Tentation du Christ (La)
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Dernière Tentation du Christ (La)
The Last Temptation of Christ
États-Unis, 1988
De Martin Scorsese
Scénario : Paul Schrader
Avec : Willem Dafoe, Barbara Hershey, Harvey Keitel
Photo : Michael Ballhaus
Musique : Peter Gabriel
Durée : 2h44

Le plus célèbre des charpentiers est tourmenté par ses propres démons, la culpabilité de fabriquer des croix pour les Romains et l’appel de Dieu. Fou à lier ou messager des hommes, Jésus ignore encore tout de son devenir. Pour éclaircir son destin, il décide d’aller à la rencontre des gens du pays. Dans sa mission, il expérimentera la plus grande des tentations: vivre une simple vie d’homme.

Malgré l’avertissement du prologue, rappelant que le film est une adaptation du livre de Kazantzakis et non des Evangiles, La Dernière Tentation du Christ n’a pas manqué de faire scandale auprès des extrémistes religieux qui, bien évidemment, critiquaient sans n’avoir ni lu le livre, ni vu le film. On se souvient qu’en France, un cinéma de Saint-Michel avait été incendié par un groupe de catholiques fanatiques, arguant haut et fort que le film était blasphématoire. Qu’en est-il réellement? Comme le rappelle si justement Jean-Etienne Pieri: "On sait combien ce long-métrage, dont la réalisation fut plusieurs fois reportée, est tout à la fois la somme et la matrice de l’œuvre du cinéaste". Scorsese s’étant confronté directement à la figure christique dans ses précédents films, et ayant été élevé dans le plus grand respect de la religion, que craignaient-ils vraiment d’une telle production? Le point de vue autre. Celui d’un cinéaste plus impliqué par le souci de poser des questions, que par celui d’y répondre, la Bible sous les yeux. Ce film offre une relecture des saintes écritures, dans l’unique but de comprendre Jésus, figure déiste par excellence, le comprendre comme un homme, comprendre qu’il n’avait pas toutes les réponses, qu’il n’enseignait pas les choses aux autres comme le ferait un professeur, comprendre enfin qu’il n’avait pas un halo de lumière autour de la tête, et qu’aucune aura particulière ne le distinguait des autres hommes. La Dernière Tentation du Christ n’est pas un enseignement religieux ou une simple illustration des Evangiles. Bien au contraire, le film s’offre comme une parabole neuve et vivante sur laquelle la discussion est permise.

Et si Jésus était montré comme un homme, et non comme le fils de Dieu? Et si Jésus s’exprimait comme un charpentier, et non comme un prophète? Et si l’occasion se présentait à lui de suivre son libre arbitre, quel choix ferait-il? Préférerait-il être sacrifié sur la croix pour servir son Dieu, ou vivre une vie de simple mortel, avec les plaisirs de la chair et de la vie sans responsabilité? Vous qui ne croyez en rien, ou rejetez les paraboles religieuses, prêteriez-vous davantage attention à lui, puisqu’il vous ressemble? Voici en tous cas les quelques angles principaux d’attaque de Kazantzakis dans son livre, repris pour le film par Scorsese. Dans la Bible, lorsque Jésus a les membres cloués sur sa croix, il lève péniblement les yeux vers le ciel et s’écrie, effondré: "Père, pourquoi m’avez-vous abandonné?", avant de reposer la tête dans un râle de douleur, et d’ajouter, avant de mourir: "Tout est accompli". Pour le romancier comme pour le cinéaste, tout est parti de l’étrange mystère qui entoure ces deux phrases, de ce besoin de comprendre ce qui avait bien pu traverser l’esprit de Jésus entre cette première question, et cette dernière certitude. Avait-il été tenté de renoncer? Au profit de quoi? C’est ce que le film explore dans les quarante-cinq dernières minutes, ouvrant ainsi l’un des voyages les plus dépaysants et les plus envoûtants du cinéma de Scorsese.

Bien sûr, si le film prône l’ouverture d’esprit et la libre interprétation des écritures religieuses, il n’en est pas pour autant exempt de défauts. Scorsese reconnaît lui-même qu’il aurait eu besoin d’un budget supérieur, de deux semaines supplémentaires de tournage, et de deux mois additionnels de montage pour réaliser au mieux son projet. Il regrette également avoir enlevé certains éléments et en avoir gardé certains autres. Mais le film existe, baroque et fiévreux, et c’est finalement tout ce qui lui importe. Ses choix artistiques sont osés: tout en décor naturel, effets spéciaux effectués à la prise de vue, trucages des miracles d’une simplicité évangélique, contrastant fortement avec la qualité numérique des incrustations contemporaines. Jésus et les apôtres parlent avec un accent américain, les romains avec un accent anglais… La caméra flotte autour de Willem Dafoe avec une énergie qui n’a rien à voir avec les fresques bibliques hollywoodiennes du passé, et la musique de Peter Gabriel est de consonance sud-africaine! La volonté de Scorsese, une fois de plus, de représenter un monde de manière franche et anti-poétique, atteint ici son paroxysme. La Dernière Tentation du Christ, pour qui le voit dans de bonnes conditions, amène à la réflexion et marque l’esprit d’images somptueuses. Une expérience unique.

par Yannick Vély

En savoir plus

L’une des spécialités de la censure religieuse est de condamner sans même avoir vu le film car "promesse a été faite de s’éloigner de Satan". De la même façon que des hommes politiques avouaient en 1985 n’avoir pas vu le film Je vous salue Marie de Jean-Luc Godard et demander malgré tout son interdiction, le cardinal Decourtray, au sujet du scandale provoqué par le film La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese, dit au cours d’un débat télévisé: "Je ne l’ai pas vu moi-même, mais des personnes qui l’on vu m’ont informé". A la date où cette phrase fût déclarée, le tournage du film n’avait pas débuté. Le mensonge est pourtant anodin comparé à la violence développée par les fidèles jusqu'au-boutistes agités par la démesure. La Dernière Tentation du Christ, en abordant le délicat sujet de la sexualité de Jésus et du doute qui l’assaille sur la croix, déclencha un vent de colère religieuse. Néanmoins, la censure gouvernementale française ne s’étant pas opposée au projet, elle permit au tournage d’avoir lieu malgré cette incessante pression mystique et à un producteur français de participer au financement. Par la suite, le tribunal civil rejetant les demandes d’interdiction réclamées par diverses associations religieuses, une véritable "guerre sainte" débuta. Qualifiant l’œuvre de "blessure pour la liberté spirituelle de millions d’hommes et de femmes, disciples du Christ", hommes et femmes de l’Eglise, cardinaux et fidèles, adoptèrent une attitude agressive et violente qui devînt dangereuse pour les spectateurs. Après trois semaines de diffusion dans dix-sept salles parisiennes, les projections devenant trop menaçantes, seules deux salles poursuivirent la distribution. Tout est tenté pour empêcher que le film soit vu. L’on assiste à des manifestations, à des jets de gaz lacrymogènes, de bris de glaces, de cocktails Molotov, à la destruction de salles de cinéma, à des menaces écrites, orales… Le cinéma Saint-Michel, qui projette le film, est détruit, l’incendie provoqué par un groupe intégriste faisant une dizaine de blessés. Des radios encouragent les fidèles à déchirer les sièges de salles qui diffusent le film. Des actes similaires sont commis dans les villes de province, toute la France est ébranlée, alors que le Front National déclare l’urgence de s’emparer des bobines d’un tel film, et de les détruire coûte que coûte. Anne-Sophie Ferrette

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