Tigre et Dragon
Crouching tiger hidden dragon
États-Unis, 2001
De Ang Lee
Scénario : Wang Hui Ling, Tsai Kuo Jung, James Schamus
Avec : Chen Chang, Lung Suhung, Michelle Yeoh, Chow Yun-Fat, Ziyi Zhang
Musique : Tan Dun
Durée : 1h55
Grand maître des arts martiaux, Li Mu Bai vient remettre une épée magique, Destinée, à une ancienne amie Yu Shu Lien. La nuit tombée, la précieuse arme est dérobée aux yeux de tous. Li Mu Bai et Yu Shu Lien unissent leur force pour retrouver le voleur. Ou plutôt la voleuse: l'impétueuse Jen Yu, mal conseillée par une vieille ennemie de Li Mu Bai, Jade "La Hyène".
REVIVAL
Le succès mondial de Tigre et Dragon a suscité a posteriori des réactions très négatives. De nombreux fans des wu xian pian (films de sabre chinois) ont accusé le réalisateur taiwanais d'avoir succombé à l'exotisme chic et surtout d’avoir calibré la culture chinoise aux canons du public occidental. Un procès d'intention qui néglige justement l'objectif premier de Ang Lee: rendre un vibrant hommage au cinéma de son enfance et faire découvrir les racines de sa civilisation au plus grand nombre. Avec son fidèle scénariste, James Schamus, il a donc tenté d'intégrer la tradition asiatique à une forme cinématographique légèrement américanisée. Il continue également de brasser les thèmes qui lui sont chers comme l'opposition entre les générations et la difficulté d'exprimer ses sentiments. Malgré des concessions légitimées par l'ambition du projet, le pari restait de taille. Entièrement tourné en mandarin avec des stars chinoises, préférant le récit initiatique à l'action pure, mettant en avant des personnages non manichéens traversés par le doute, Tigre et Dragon est une audacieuse tentative de western zen, à contre-courant des films à gros budget produits par Hollywood.
SOYONS ZEN
Ang Lee définit les personnages de Li Mu Bai (Chow Yun Fat) et Yu Shu Lien (Michelle Yeoh) comme les héros mythiques d'un temps révolu. Celui de la soumission à une autorité, à un art de vivre suivant son honneur qui laisse peu de place aux sentiments personnels. Homme de devoir, Li Mu Bai ne peut avouer son attirance envers la belle Yu Shu Lien. Cet amour impossible contraste fortement avec la fougue de Lo (Chang Chen) et Jen Yu (Zhang Ziyi), personnages déjà ancrés dans la modernité. Dans un décor de Far West, un chef de gang attaque une diligence pour enlever la princesse qui y sommeille. Première incursion de la mythologie américaine plus passionnelle et enfiévrée. Le scénario ne devient alors qu'un prétexte à la confrontation de deux systèmes de pensée: l'oriental respectueux des traditions incarné par Li Mu Bai et l'individualisme occidental qui prend les doux traits d'une jeune femme libérée et farouche refusant de se marier avec un homme qu'elle n'aime pas.
EN APESANTEUR
Visuellement, Tigre et Dragon est d'une rare beauté. Mis en scène avec élégance et raffinement, le film respire le perfectionnisme de son réalisateur. Soucieux du moindre détail, Ang Lee a reconstitué la Chine ancestrale décrite par Wang Dulu dans un classique de la littérature extrême-orientale. Un véritable travail d'orfèvre sublimé par la photo de Peter Pau et les insensés décors naturels. Impossible de ne pas évoquer le plaisir pris devant les incroyables scènes de combats chorégraphiées par maître Yuen Woo-Ping (Il était une fois en Chine, Matrix). Utilisant l'art martial du wu xia, les personnages défient les lois de la pesanteur et leurs affrontements deviennent des chansons de geste poétiques. Bambous, murs d'enceinte, torrents déchaînés: l'environnement et les personnages se fondent dans un même mouvement mystique. Ang Lee distille avec parcimonie ses instants de magie irrésistible. L'action n'est jamais un prétexte mais une continuité logique à l'évolution des personnages. Grand spectacle mélancolique, flamboyant et serein, Tigre et Dragon est à ce jour la plus belle déclaration d'amour au cinéma de King Hu et Chang Cheh.