Nixon
États-Unis, 1995
De Oliver Stone
Scénario : Stephen J. Rivele, Oliver Stone, Christopher Wilkinson
Avec : Joan Allen, Powers Boothe, Anthony Hopkins, Paul Sorvino, James Woods
Photo : Robert Richardson
Musique : John Williams
Durée : 3h10
Vie et mort de Richard M. Nixon, 37e président des Etats-Unis, de sa jeunesse à la ferme jusqu’à sa démission de la Maison Blanche.
LA GRANDEUR A PORTEE DE MAIN
On pouvait s’attendre de la part de l’auteur de JFK à un portrait virulent et sans concession du président le plus haï de l’histoire moderne. Mais en lieu et place du pointage de doigt prévu, Nixon est une sombre tragédie humaine étonnante de compassion. Tourné et monté extrêmement rapidement durant l’été et l’automne 1995, Nixon jouit encore de l’audace extrême déployée par son auteur dans son précédent film, Tueurs nés, mais avec un canevas plus posé. Le style stonien, que certains ont qualifié d’expressionniste tant il tient à illustrer de manière visuelle les sentiments de ses protagonistes, se déploie ici avec une maîtrise rare, superposant couche après couche, mélangeant les supports (16 et 35mm, couleur et noir et blanc, images vidéo), ajoutant des superpositions, des fautes de raccords volontaires, mais toujours en gardant en ligne de mire son histoire et ses personnages (ce que Tueurs nés, dans tout son chaos, oubliait parfois). Loin des modes, mais pourtant parfaitement en phase avec son temps, la mise en scène de Stone atteint dans Nixon des sommets de virtuosité.
LES HOMMES DU PRESIDENT
Jonglant avec différentes époques, différents décors, sans jamais établir de présent clairement défini, la structure narrative de Nixon semble toute entière vouée à illustrer la confusion dans laquelle se trouve son héros à la veille de sa démission. De la même manière que Hopkins rembobine et repasse en boucle des passages de ses enregistrements audio clandestins, Stone joue avec les temporalités, la vie de Nixon, sa carrière, passant abruptement de son échec à la présidentielle de 1960 jusqu’à son implication dans le Watergate ou son rôle dans la crise vietnamienne. Stone sait mieux que personne à quel point l’Histoire n’est pas un fleuve tranquille mais une multitude de ruisseaux, certains coulant à contre-sens des autres, et que la vérité n’est pas forcément là où on l’attend. Son Richard Nixon à lui est, contre toute attente, montré sous un jour moins défavorable que prévu. La voix-off finale (dite par Stone lui-même) établit même une longue liste de l’héritage du 37e Président (traités de désarmement, dégel avec le bloc de l’est, etc.). Mais ce qui frappe, c’est à quel point Stone insiste sur le statut de pantin du chef de l’état. Que ce soit via J. Edgar Hoover ou Richard Helms (le patron de la CIA à l’époque), le film ne cesse jamais de dénoncer l’influence tentaculaire de ce que Nixon nomme "la Bête": le pouvoir obscur du complexe militaro-industriel. Lorsqu’une jeune hippie demande au Président pourquoi il ne met pas un terme à la guerre, elle comprend avec effroi en regardant dans ses yeux que cette décision n’est même pas de son ressort.
CITIZEN NIXON
Stone avait d’abord pensé à Tom Hanks ou Jack Nicholson pour tenir le rôle-titre. Mais c’est finalement Anthony Hopkins qui apporte au personnage sa dimension shakespearienne. Reclus dans une Maison Blanche tout en clair-obscur, Nixon règne sur une forteresse assiégée. C’est dans ces moments de recueillement que Stone touche à l’essence du personnage. Il fait de Nixon un homme profondément droit, mais mal à l’aise en société, et prompt à prendre sa revanche sur le monde. Henry Kissinger, joué par Paul Sorvino s’exclame devant un discours du Président "Pouvez-vous imaginer ce que cet homme aurait pu devenir s’il avait un jour été aimé?". Les scènes où Nixon relit les transcriptions de ses conversations et rature tous les jurons que sa mère n’aurait pas aimé l’entendre dire sont bouleversantes. Ses relations avec son épouse, merveilleusement interprétée par Joan Allen, donnent au personnage toute son épaisseur ambiguë. Stone cherche à comprendre celui qui devrait être son ennemi, celui qui l’a envoyé au Vietnam. Comme dans Citizen Kane, dont le film s’inspire beaucoup, Stone trouve au bout du compte un petit garçon trop bien élevé, ambitieux et honnête, mais corrompu par le pouvoir et l’amertume. A la fin, Nixon erre une dernière fois dans les couloirs de la Maison Blanche et tombe sur le portrait de Kennedy. "Quand ils te regardent, ils voient ce qu’ils aimeraient être. Quand ils me regardent, ils voient qui ils sont".