Honkytonk Man

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Red Stovall, guitariste alcoolique, s’engage sur la route de Nashville pour participer à une audition du Grand Ole Opry. Pour le chaperonner, un grand-père nostalgique et deux adolescents voulant échapper à la dépression des années 30.

"THE WORLD MOST FAMOUS COUNTRY MUSIC SHOW"

Dans une allée de cimetière, à l’ombre des arbres, une douce mélodie s’échappe d’un autoradio: Honkytonk Man. Le générique défile, la conclusion est parfaite, dans les règles de l’art. Résumé d’une visite guidée au pays de la country et des passions destructrices condensé en un seul refrain, ouverture vers un ailleurs inconnu dans la pure tradition de ces points d’interrogations dont Clint Eastwood parsème chacun de ses films. Une dernière scène emblématique d’une œuvre considérée à tort comme mineure, parfois même totalement oubliée. Il y a pourtant dans ce Honkytonk Man tout le cœur de son réalisateur, ses premiers souvenirs d’enfance, ses premiers amours de jeunesse. Dans une ambiance de western musical, le film se place comme hommage aux dix premières années de sa vie, marquées par la grande dépression et son refuge dans le blues. Une idée soulignée par la présence de son propre fils pour incarner Whit, ce jeune garçon suivant son oncle musicien pour échapper au dur labeur des champs de coton. Un parcours musical traversant des lieux mythiques, sorte de pèlerinage vers la Mecque de la musique country. Errances dans les Honky Tonk de l’Oklahoma et bars musicaux de l’Arkansas. Passage obligatoire au Top Hat Club de la célèbre Beal Street de Memphis, rue des King qui a vu naître les plus grands noms du blues. Pour finir dans le Saint des Saints, le Grand Ole Opry. Créé en 1925 sous le nom de The WSM Barn Dance, l’émission de radio deviendra la plus populaire des stations américaines dans les années 30 et sera à l’origine du succès des grands noms de la musique country que sont Ernest Tubb, Hank Williams et Patsy Cline.

"BUT I’VE GOT MY GUITAR AND I’VE GOT A PLAN"

Costume d’un noir impeccable, tiré à quatre épingles, ceinture à la boucle étincelante, cravate rayée, stetson gris velouté, santiags aux pieds et guitare à la main, bardé de la parfaite panoplie du country man, Red Stovall nous emmène dans sa rutilante décapotable rouge sur cette longue route de légende qui s’étend des vastes plaines de l’Oklahoma à Nashville. Annoncé par une tornade dévastatrice, ce musicien ambulant alcoolique va se laisser entraîner par ses pulsions et son amour pour la musique. A travers ce personnage qui lui est cher, Clint Eastwood va développer pour la première fois la thématique de l’autodestruction. Il est la représentation de ces êtres passionnés qui, rongés par la peur du succès, s’évertuent à rester en arrière-plan, voire même à se détruire. Eminemment connu de la scène blues, Red se contente d’écrire des chansons pour ses compatriotes, de se tapir dans l’ombre des bouges, derrière son piano ou sa guitare, pour le simple plaisir d’égrainer quelques notes. Une passion dévorante qui a toujours pris le dessus, laissant à la dérive une vie que grignote peu à peu la tuberculose. Sur la pelouse verdoyante du cimetière de Nashville, l’étui à guitare s’ouvre comme un cercueil, l’instrument joue ses dernières notes dans un calme saisissant, avant que le nom de Red Stovall n'emplisse les ondes, le parallèle est marquant. La Gibson, outil de mort mais surtout de renaissance et de rédemption. Il y a également dans ce personnage les prémisses de l’idée de vieillissement et de lutte incessante contre un temps immaîtrisable (merveilleusement mis en scène dans la dernière séquence d’enregistrement) qui caractérisera dès lors tous les héros eastwoodiens.

A ses côtés, le jeune Whit, quatorze ans, son neveu. Dans sa salopette de jean poussiéreuse, usée jusqu’à la trame par les marches du perron sur lequel il s’assoit chaque jour, le jeune homme se passionne pour la vie que mène son oncle. Fasciné par sa musique, s’imaginant devenir bien plus qu’un simple ouvrier comme ses parents, il arrive à convaincre sa mère d’accompagner Red au Grand Ole Opry, comme chauffeur et chaperon. La relation qui va naître entre l’homme et son garde-fou dépassera rapidement ce simple stade. Ce road-trip aux allures de fuite en avant devient peu à peu un voyage initiatique pour le jeune garçon, qui trouve en Red un mentor, un complice, un second père. Un rapport filial à double sens puisque Whit prendra pour son oncle tour à tour les casquettes de sauveteur, collaborateur, assistant, confident, soigneur, et bien plus encore. Cette interdépendance entre les deux personnages se place ainsi comme le point central du film et se voit soulignée à maintes reprises par la mise en scène très soignée de Clint Eastwood. Rapprochés par des jeux de lumière typiques, s'ils ne sont pas rassemblés dans tous les plans, leur interaction, elle, est présente dans chaque séquence, au point de transformer en ellipses leurs temps de séparation. On notera qu’il est aisé de trouver ici une mise en abyme non seulement de la jeunesse du réalisateur-acteur mais également de sa relation avec son propre fils, interprète de Whit, qui, sur ses traces, deviendra un passionné de jazz, contrebassiste émérite des clubs new-yorkais.

Partageant la route avec eux jusqu’à Memphis, deux autres personnages à première vue anecdotiques viennent compléter le duo. Tout d’abord le grand-père de Whit, marqué à vie par la grande course qu’il a menée vers l’Ouest lors de l’ouverture de l’Indian Trail. Voyant partir en poussière le rêve américain auquel il avait tant cru, ne se faisant plus aucune illusion quant au possible renouveau de la côte Ouest vers laquelle se dirigent les parents de Whit, il décide de rentrer dans son Tennessee natal, "à Cainville, au Nord de Murfreesboro". Si son temps de présence à l’écran est restreint, son rôle de mécène pour le voyage de Red le transforme en élément déclencheur. Sonnant le départ de leur épopée, il les quittera en cours de route une fois que la machine aura été lancée, sorte de transmission du savoir paternel. De plus, interprété par John McIntire, figure emblématique des grands westerns des années 50, ce Grandpa fait office de clin d’œil au genre qui a marqué le début de la carrière de Clint Eastwood. Intruse dans ce cocon familial étrange, la jeune Marlene. Petite allumeuse mythomane et sans vergogne, elle s’impose parmi eux prétextant un amour inconsidéré pour le grand Red et le métier de chanteuse. Pendant féminin du jeune garçon, fuyant elle aussi un avenir peu prometteur, elle se servira de l’innocence de ce dernier pour arriver à ses fins. Renvoyée en cours de route, elle ravalera sa fierté en fin de parcours pour servir les deux hommes et tirer des plans sur la comète avec Whit, son nouvel amour.

"THROW YOUR ARMS AROUND THIS HONKYTONK MAN"

Ce road movie tragi-comique, O’Brother avant l’heure, s’avère être bien plus qu’un simple hommage d’une homme vieillissant à ses amours de jeunesse. Ambiance western, ouverture identique à celle de Josey Wales, hors la loi (qui va jusqu’à utiliser le même acteur pour jouer le rôle du fils), il s’appuie sur un terrain connu pour explorer de nouveaux horizons. Résumant dans une esthétique sablonneuse et une mise en scène sensible ce qui avait composé ses réalisations antérieures, le métrage ouvre la voie à de nouvelles thématiques, se transformant ainsi en film-tournant dans la carrière de Clint Eastwood réalisateur. Si Honkytonk Man a été réalisé au début des années 80, il est en fait son premier film estampillé par ce qui marquera ses mises en scène des années 90, comme si, avec Impitoyable, ils formaient les ponctuations d’une parenthèse autour de réalisations hétéroclites. On retrouve ces traces derrière la trame et les décors d’Un monde parfait, l’ambiance de Sur la route de Madison, l’esthétique visuelle et sonore de Minuit dans le jardin du bien et du mal, certaines thématiques de Space Cowboys, avant de ressortir de l’ombre de manière flagrante, inattendue et quasi incongrue dans Million Dollar Baby. Red, Whit, Maggie, Frankie, les personnages se mélangent, se font écho, se répondent. Même fascination pour le travail d’un aîné, même envie de fuite vers un monde meilleur, même passion destructrice, même manque d’oxygène, même tentative de rachat face à une fille abandonnée, même complicité dans des rapports filiaux improvisés, même guitare mélancolique. Autant de points communs qui font de ce neuvième film trop souvent oublié une œuvre majeure incontournable de la carrière de son réalisateur.

par Julie Anterrieu

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