Heat
États-Unis, 1995
De Michael Mann
Scénario : Michael Mann
Avec : Robert De Niro, Ashley Judd, Val Kilmer, Al Pacino, Tom Sizemore, Diane Venora, Jon Voight
Photo : Dante Spinotti
Musique : Brian Eno, Elliot Goldenthal
Durée : 2h51
Une semaine de choc(s) à Los Angeles. Tout commence par l’attaque d’un fourgon blindé. Mort d’hommes. La faute à Waingro, nouvelle recrue du gang, vite éjecté à défaut d’être éliminé. Neil McCauley et ses hommes, professionnels rôdés à l’action, acceptent le braquage d’une banque avant de tirer leur révérence. En parallèle, l’inspecteur Vincent Hanna et son équipe de la Criminelle remontent la piste. Jusqu’au duel final.
GANGS OF L.A.
Chaque cinéaste nourrit un jour l’envie de réaliser un projet de rêve, une œuvre plus personnelle que les autres, une excentricité hors de la mode et du temps. Parfois le projet de toute une vie: 2001, l’odyssée de l’espace de Kubrick, La Porte du Paradis de Cimino, La Dernière Tentation du Christ de Scorsese, Apocalypse Now de Coppola ou encore La Liste de Schindler de Spielberg. Ce rêve, ils en parlent des années sans jamais avoir l’opportunité de le réaliser. Ironiquement, Michael Mann le réalisa deux fois. A l’origine écrit dans les années 70, Heat contait déjà l’histoire d’un flic et d’un braqueur, tous deux professionnels endurcis, mais animés d’un respect mutuel. A force de se côtoyer dans les filatures, ils prenaient un café ensemble. Là, au beau milieu d’un restaurant de Los Angeles, tranquillement attablés au milieu d’une foule de gens ordinaires, ils discutaient de leurs points communs. Dans le duel final, déjà, le flic tuait le braqueur. Mann savait qu’il tenait là une histoire unique, et était bien décidé à la voir un jour réalisée. Un pitch à la fois épuré et inédit, charpente solide pour bâtir tout autour un polar dense et immersif. En 1989, il eut l’opportunité de mettre en scène un téléfilm policier. Mais ne disposant que d’une dizaine de jours de préparation, et d’une vingtaine d’autres pour tourner, il ne pu rendre justice à son script. Le titre fut changé à la diffusion par L.A. Takedown, et Mann troqua son nom pour celui plus anonyme d’Alan Smithee.
REMAKE ET CONTINUITE
En 1994, alors en bien meilleure situation financière, Michael Mann se vit proposer de reprendre son scénario originel. Armé cette fois d’un budget de 60 millions de dollars, d’une pléiade d’excellents comédiens, dont Robert De Niro et Al Pacino, de six mois de préparation et de 107 jours de tournage, il réalisa son rêve, et le notre. La chose était osée, et presque jamais vue. Depuis Alfred Hitchcock (L’Homme qui en savait trop, 1934 et 1956), Howard Hawks (Boule de feu et Si bémol et fa dièse, 1941 et 1948), Frank Capra (La Grande Dame d’un jour et Milliardaire pour un jour, 1933 et 1961) et Leo McCarey (Elle et lui et Rendez-vous avec le destin, 1939 et 1957), aucun cinéaste américain n’avait eu l’occasion de mettre en scène le même scénario deux fois. A évènement unique, film unique. Entremêlant astucieusement les genres du polar et du policier, à la fois transcendés et décomposés par des moments d’infinie tendresse, Mann écrivit, après quelques années de recherche sur le terrain, un scénario en tous points exceptionnel. Une âpreté stylistique qui depuis a fait la marque du cinéaste, une densité ambitieuse et prolixe, et ce génie d’alchimiste qui associe avec autant de réussite le réalisme au romantisme, le documentaire au fictionnel hollywoodien, et la temporisation à l’action brute. Plus qu’un simple remake de son téléfilm L.A. Takedown donc, bien plus encore que la continuation d’un univers découvert dans Le Solitaire (Thief), Heat représente à la fois la somme du cinéma de Melville et de Huston, et la matrice du cinéma réaliste contemporain.
DEEP BLUE
Heat, à l’image de son titre fiévreux - et en un sens trompeur -, c’est avant tout une atmosphère, bleutée, musicale, humaine, à laquelle il faut être sensible. Ce qui sera du déjà-vu pour les uns se présentera comme un décrassage cinématographique pour les autres, ce qui ennuiera pourra tout autant stimuler. Il est fort possible que malgré les qualités intrinsèques et objectives de l’œuvre, celle-ci ne livre sa magie qu’à ceux qui auront su écouter, voir, et s’y perdre. Heat est l'un de ces films qui procure un plaisir proportionnel à sa cinéphilie, ou sa curiosité. D’une musique flottante aux paysages de béton, des clichés hollywoodiens à la perte de l’american dream, Mann dépeint sans se presser, mais à vive allure, la traque d’un homme par son double. Une vie patiemment édifiée, délicatement songée, et cruellement détruite. Un pessimisme qui hante le film de part en part – dont le romantisme n’est qu’une déclinaison plus colorée - notamment dans les relations de couple, très élégantes, presque idéales, et pourtant rattrapées par la vie. Le succès du film doit beaucoup à la rencontre attendue des deux monstres sacrés du générique, et au final, beaucoup de spectateurs sont restés sur le carreau. Gageons sans crainte qu’il restera un classique pour les cinéastes à venir, dont certains se partagent déjà à coups de griffes ce magnifique patrimoine de 170 minutes.