Créatures célestes
Heavenly Creatures
Nouvelle-Zélande, 1994
De Peter Jackson
Scénario : Peter Jackson
Avec : Melanie Lynskey, Sarah Peirse, Kate Winslet
Photo : Alun Bollinger
Musique : Peter Dasent
Durée : 1h00
Nouvelle-Zélande, 1953. Pauline, jeune fille introvertie, fait la rencontre de Juliet, une Anglaise qui vient d'emménager dans sa ville. Ainsi va naître une amitié dont l'intensité n'aura d'égale que la fertilité de l'imagination des deux demoiselles...
CREATURES FEROCES
Au premier abord, voir le nom de Peter Jackson au générique d'un film tel que Créatures célestes peut intriguer. En effet, Jackson est ici en rupture avec ses précédentes œuvres, donnant dans le gore déconnant (Bad Taste en 1987 ou Braindead en 1992), pour se plonger dans un univers totalement différent. S'attachant également à l'écriture du scénario (nommé aux Oscars en 1994), aidé dans sa tâche par sa compagne, Frances Walsh, Jackson relate une histoire inspirée d'un fait divers qui se produisit dans les années 50, en Nouvelle-Zélande. Le réalisateur y trouve matière à une radiographie subtile, puissante et dérangeante d'une amitié qui tourne à la folie, conférant au fait divers dont est inspiré le film une atmosphère onirique de conte de fées, aidé dans son entreprise par les performances hallucinantes de son duo d'actrices. Voici donc le récit de l'amitié qui lie Pauline Parker (Melanie Lynskey), jeune fille renfermée et effacée, à Juliet Hulme (Kate Winslet), une Anglaise débarquant en Nouvelle-Zélande. La particularité de Créatures célestes se trouve dans le traitement de ce lien si particulier. En effet, Juliet et Pauline, passionnées de littérature, vont en venir à s'isoler du monde qui les entoure afin de recréer le leur à leur guise. Cette recréation fantasmée est propice à des envolées visuelles flamboyantes, délirantes et lyriques (un château dans lequel évoluent des personnages de pâte à modeler, la constitution d'un décor féerique, les apparitions d'Orson Welles après une projection du Troisième Homme...).
BE WITH ME
Jackson parvient ainsi à parfaitement retranscrire les fantasmes de ces héroïnes à travers ces scènes envoûtantes, contrastant avec le décor ordinaire d'une petite ville de Nouvelle-Zélande rappelant, par son atmosphère, le décor de Blue Velvet de David Lynch. L'existence des deux jeunes filles se meut en œuvre d'art, elles deviennent ainsi de réelles "créatures" touchées par la grâce. Autant qu'un film sur l'amitié, il s'agit également d'une histoire d'amour exaltée. Et c'est ainsi (vu l'époque) que ce lien deviendra de plus en plus gênant pour les familles Hulme et Parker, tant cet amour obsessionnel, confinant à la névrose, prendra des dimensions immenses. La séparation semble inévitable, et c'est de là qu'émanera la tragédie. Le dénouement tragique de Créatures célestes arrive donc comme une sorte de climax attendu (et annoncé par les premières minutes du film), monté de manière absolument brillante, faisant de cette toute dernière partie du film un authentique moment d'horreur absolument monumental, tant sa progression, son crescendo, et la façon dont la tension est entretenue sont remarquables. Plusieurs sentiments se mêlent à la vision de Créatures célestes: voilà un film très romantique, traversé par des bouffées délirantes et poétiques, mais il s'agit également d'une œuvre peignant parfaitement l'état d'esprit de deux jeunes filles gagnées par la folie, folie qui les poussera à commettre un acte ignoble. La beauté enfante ici de l'horreur, dans un film bouillonnant et illuminé, partagé entre rêve et cauchemar.