Combien tu m'aimes ?

Combien tu m'aimes ?
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Combien tu m'aimes ?
France, 2005
De Bertrand Blier
Scénario : Bertrand Blier
Avec : Edouard Baer, Bernard Campan, Gérard Depardieu, François Rollin
Durée : 1h35
Sortie : 26/10/2005
Note FilmDeCulte : *****-

François rencontre Daniela, une prostituée. Venant de gagner une fortune au loto, il décide de l’acheter pour quelques mois.

BLIER CONTRE-ATTAQUE

Nouvelle pour le moins inattendue: Bertrand Blier revient au meilleur de sa forme, après plusieurs années d'errance, perdues entre le ratage intégral des sinistres Acteurs, et les déconvenues discutables des Côtelettes ou de Mon homme. Plus de dix années d'absence, durant lesquelles un vide s'est cruellement fait ressentir. L'on se souvient avec regret des entretiens accordés durant cette période à la presse, dans lesquels il évoquait une perte totale d'inspiration et une inaptitude à se fondre dans une industrie cinématographique qu'il ne reconnaissait plus. Triste pour un réalisateur à ce point prolifique en qualité, ayant par ailleurs su rallié succès publics et critiques, Oscars et César, notamment dans sa décennie glorieuse des années 80 (Buffet froid, Tenue de soirée, Trop belle pour toi...). Et si certaines de ses réussites avaient déjà été suivies d’erreurs pardonnables (Calmos, La Femme de mon pote), jamais il ne s’était à ce point enlisé comme il a pu le faire depuis douze ans, depuis plus exactement l’échec déstabilisateur du sous-estimé Un deux trois soleil. Comment rebondir, sans reproduire, voire recopier, les schémas de ses précédents films (la structure éclatée de Trop belle pour toi, ou les dialogues qu'il juge lui-même trop parfaits, trop "trop", de Tenue de soirée)? Comment se renouveler et retrouver une inspiration lui permettant d'atteindre un tel niveau de réussite? Divine surprise, Combien tu m'aimes? est un film magnifique, d'une poésie et d’une pudeur rares, d’une élégance somptueuse portée par les airs d’opéra de Puccini, et qui à de nombreux moments se hausse au niveau des plus belles scènes réalisées par le cinéaste au court de sa carrière.

LA BELLE ITALIENNE

"A mon âge, on peut tout dire. Monica met l'ambiance. Elle arrive, s'assied, fume une cigarette et elle met l'ambiance. On a tous envie de se la faire, c'est évident, même si on n'est pas obsédé sexuel. Elle est dans un bar et vaut très cher". Eclatant littéralement la figure, devenue habituelle, presque redondante dans sa filmographie, du trio (Les Valseuses, Préparez vos mouchoirs, La Femme de mon pote, Trop belle pour toi...), Blier déleste son film du troisième partenaire pour le remplacer par une curée d'hommes et de femmes gravitant autour de Daniela. La Femme, La Bombe italienne, La Pute, celle dont tout le monde rêve. Les hommes la convoitent, les femmes la jalousent ou l'admirent. Combien tu m'aimes? , c'est avant tout Monica Belluci, regardée, caressée, brusquée parfois, par la caméra d'un metteur en scène amoureux. Le film n'existe quasiment que par et pour l'actrice de Irréversible; qu'il s'en éloigne un tant soit peu, et c'est toute l'intrigue, tout l'édifice, qui manque de s’écrouler. Ici, qui est le troisième acteur, forcément perturbateur? Le "mec" (mac) de Daniela? La voisine "du sud"? Edouard, qui ne cesse de se pâmer d'admiration pour l'Italienne? Les collègues de boulot? C'est une foule, un essaim collant et envahissant comme pouvait l'être celui gravitant autour d'Alain Delon dans Notre histoire. Et Monica Bellucci, dans tout ça? Elle s'en sort bien, certes sans réellement faire d'éclat, mais en retrouvant par moment la grâce mélancolique et la fragilité qui faisaient la beauté de Carole Bouquet dans Trop belle pour toi. Les deux personnages se ressemblent, d'ailleurs. Toutes les deux ressentent le besoin de s'excuser d'être trop belles lors de très belles scènes qui se font écho, à vingt ans de distance.

LA CUREE

Gravitant autour de Daniela, donc, Bernard Campan (surprenant de justesse), Gérard Depardieu (en grande forme - dans tous les sens du terme), et quelques autres. Combien tu m'aimes?, c'est un mouvement circulaire qui s'achemine doucement vers l'actrice. C'est le regard d'un cinéaste ayant tout compris depuis fort longtemps aux rapports homme/femme. Le premier spectateur du film et de l’actrice reste Blier lui-même, Blier et ses répliques acides, Blier et son regard ironique… Mais surtout Blier et une pudeur qu’on ne lui connaissait plus. Caressant du bout des doigts son actrice à l’aide d’une caméra aérienne et vaporeuse, alignant sa mise en scène sur les notes de saxophone d’un air de jazz comme il le faisait sur celles des partitions de Philippe Glass, il approche son actrice sans jamais la brusquer, sans jamais la moindre once de vulgarité, avec l’infinie tendresse dont il a été capable dans le passé et dont on oublier un peu trop souvent de le créditer. Cette pudeur donne au film une infinie légèreté teintée d’une émotion rare, y compris dans le cinéma de Blier (renommé pour sa froideur). Liberté de ton, éclatement de la structure (sans aller jusqu’à la narration à tiroirs de Merci la vie), effeuillage discret de ses personnages, Combien tu m’aimes?, en dépit de sa campagne d’affichage peu en adéquation avec les teintes douces et bleutées du film, s’impose comme l’histoire la plus tendre et la plus libre de l’année. Une histoire commune, celle d'un homme simple, "un baiseur, pas un gros baiseur mais un baiseur", qui rencontre une prostituée belle comme le jour, et tente de l'attirer hors du monde de la nuit. Avec Bertrand Blier aux commandes, cette histoire simple ne peut décemment pas donner une simple histoire.

par Anthony Sitruk

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