Chantons sous la pluie

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Comment, à la fin des années 20, lors du passage du muet au sonore et parlant, l'équipe du film le plus attendu d'Hollywood arrive à éviter le fiasco qu'aurait pu causer la voix nasillarde de sa vedette en le transformant en comédie musicale.

WHAT’S THIS ONE ABOUT?

Chantons sous la pluie retrace de façon simplifiée et plutôt nostalgique l'une des plus grandes étapes de l'histoire du cinéma, le passage du muet au sonore et parlant. Se basant sur l’influence qu’a eu cette mutation sur la naissance des films musicaux, le producteur Arthur Freed, auteur de la plupart des chansons pour le cinéma des années 30, trouva l’idée de situer l’action de sa nouvelle comédie musicale à cette période parfaitement à propos. S’appuyant sur des anecdotes d’époque (caméras trop bruyantes, voix d’acteurs insupportables, problème d’accommodation aux micros, etc.), mélangeant ironie et humour, le film retentit comme un hommage aux débuts du genre. La bande originale est exclusivement constituée de grands succès musicaux, "Singin’ in the rain" en tête, et l’esthétique est directement inspirée de celle utilisée par les réalisateurs des années 30 et en particulier Busby Berkeley. La séquence chatoyante et florissante de "Beautiful girl", représentant le triomphe du film musical et de ses vedettes venues des scènes de music-hall, en est le parfait exemple. Gene Kelly, tout juste sorti du triomphe de Un Américain à Paris de Vincente Minnelli, et Stanley Donen, grand collaborateur de Kelly réputé pour ses idées de mise en scène intelligentes, étaient déjà sur le projet sous la houlette de Freed. Pour compléter l’équipe, ils choisirent à leurs côtés des acteurs de première ligne, issus du milieu du music-hall et de la scène.

MUCH MORE THAN A SHADOW ON SCREEN

Le choix de Debbie Reynolds pour le rôle de Cathy Selden fut le plus évident. La demoiselle était devenue depuis 1950 l'ingénue malicieuse de la MGM, après avoir été remarquée dans Trois Petits Mots de Richard Thorpe et Two Weeks with Love, dont la mise en scène chorégraphique était réglée par Busby Berkeley. Son rôle de jeune starlette talentueuse cherchant la reconnaissance et la renommée dans Chantons sous la pluie va l'asseoir au sommet des stars du genre pour cinq ans. A peine âgée de 19 ans, elle y est rayonnante, faisant preuve d’une grande maturité. Donald O'connor, dont les parents étaient artistes de music-hall, n'était quant à lui pas très connu du public malgré sa trentaine de films, mais était réputé des studios pour être un acteur, danseur et chanteur loufoque. Postulant parfait pour le rôle de Cosmo, le copain boute-en-train, grimaçant et toujours de bonne humeur, Chantons sous la pluie l'a révélé au grand public, mais s'est avéré être le seul film à la mesure de sa fantaisie. Il en va de même pour Jean Hagen, actrice de théâtre depuis les années 40. Elle n’est reconnue au cinéma que pour son premier rôle dans Quand la ville dort de John Huston, sorti en 1950, quand l’équipe Freed l’engage. Avec un humour certain, elle interprète le rôle de Lina Lamont, la star blonde sans cervelle qui se fie aux tabloïds pour mener sa vie privée, et obtient ainsi une nomination à l’Oscar du meilleur second rôle féminin. On trouve également dans ce casting très réussi le nom de Cyd Charisse, qui fait une apparition très brève mais des plus remarquées. Choix très judicieux que celui de la reine des danseuses d'Hollywood pour représenter l'envoûtement que procure New-York pour les jeunes acteurs qui désirent tenter leur chance au royaume du music-hall.

THE DANCING CAVALIER

Cette deuxième collaboration entre Stanley Donen et Gene Kelly marque l’apogée du duo. Leur mise en scène est exemplaire, intégrant à merveille les chorégraphies dans le déroulement de l'histoire. Que ce soit par le biais d’une représentation de music-hall, par l'évocation d'un souvenir, d’un exemple, sous couvert d’une déclaration d'amour, d’un délire collectif ou d’une euphorie passagère, il y a toujours un prétexte valable pour intégrer la danse au reste du récit. Il en ressort des scènes sublimes qui sont restées gravées dans les annales du genre. Après un bref flash-back clownesque sur la reprise de Fit as a fiddle, le film ouvre le bal sur une première version très enlevée de All I do is Dream of You, représentée lors de la soirée de la première par des starlettes dansant le charleston en juste-au-corps roses du plus bel effet. Cette première séquence de danse est presque immédiatement suivie par le parfait Make 'Em Laugh, interprété par un Donald O'Connor très à son aise dans cette chorégraphie frénétique. Pour remonter le moral à son ami Don, dépité d’avoir rencontré une fille qui lui résiste, Cosmo danse sur le piano, les murs, grimace, fait mine de se prendre les pieds dans le tapis et improvise un duo avec un mannequin de chiffon. Chorégraphié par Stanley Donen, qui ne sera jamais crédité à ce poste pour le film, le solo de O’Connor rappelle à plus d’un titre celui de Fred Astaire dans Mariage Royal, réalisé par le même Stanley Donen l’année précédente.

Par la suite, entre quelques pas de deux romantiques, les deux hommes vont alterner des moments follement rythmés, comme Moses Suposes. Alors que Don est en train d’apprendre à articuler chez un orthophoniste, il est rejoint par Cosmo et tous deux s’élancent dans un sublime duo de claquettes. Montant sur le bureau, se cachant dans les rideaux, jouant avec l’orthophoniste, la caméra virevolte autour d’eux, captant toute l’essence de ce duo d’une qualité rare. Dans le même registre, la séquence Good Morning, où, après avoir passé la nuit à remonter le moral à Don, Cathy et Cosmo l'entraînent dans un pas de trois sublime, touche à la perfection du genre. A cette scène, qui est le tournant du film, s'enchaîne Singin' in the Rain. La chanson devait au départ être un pas de trois rassemblant Don, Cathy et Cosmo dans une version un peu plus rythmée que l’on retrouve en générique d’ouverture, mais Freed, Kelly et Donen ont jugé que la scène aurait plus de poids en solo. Le résultat est là. Enfin, il ne faut pas oublier la séquence intitulée Broadway Melody, qui mélange à la perfection tout les styles de danses que l'on peut trouver dans une comédie musicale. Cette séquence ultime comporte les deux fameux pas de deux entre Gene Kelly et Cyd Charisse, deux stars au sommet de leur art. Passant du brûlant envoûtement d’une Cyd Charisse toute de vert vêtue au lyrisme bleuté d’un univers imaginaire, les chorégraphies sont élégantes, les portés légers et la symbiose parfaite.

par Julie Anterrieu

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