Buffalo ‘66

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A peine sorti de prison pour un larcin misérable, Billy Brown doit tenir tête à ses parents qui le croient marié. Pour leur prouver qu’il n’est pas un simple bon à rien, mais un homme civilisé, bien sous tous rapports, Billy kidnappe la première danseuse de claquettes venue, et l’oblige à se faire passer pour son épouse.

Ba buffalo 66envoyé par angelene

PITRERIES ET DOUX MENSONGES

Billy Brown est un homme formidable. Les amis d’enfance lui envient son épouse délicieuse, le voisinage entier jalouse ses parents indulgents, la terre miséricordieuse bénit le jour de sa naissance. Le soleil chante, les abeilles butinent. La vie vaut la peine d’être vécue. Oh happy days… Paul Léger est un imitateur hors pair, cinéphile jusqu’au bout des oreilles, Cary Grant du dimanche, catalogue vivant du septième art. Entre Billy et Paul, le freluquet encore flou d’Arizona Dream s’insère un troisième larron, Vincent Gallo. C’est en 1988 que l’autodidacte, acteur, photographe et peintre, rédige la première mouture du scénario de Buffalo ‘66. Billy Brown est décrit comme une mauvaise farce cavalant après la reconnaissance parentale. Mais à une promesse de vie moyenne d’Américain moyen, Gallo lui avait préféré un fantasme à plus grande échelle, celui de star de cinéma. En 1991, Emir Kusturica choisit Nicolas Cage pour le rôle de Paul Léger, hurluberlu obnubilé par Elvis Presley. Frais rescapé de Sailor et Lula et de sa collection de vestes en croco, Cage décline l’invitation par peur de la redite. Kusturica se tourne alors vers Vincent Gallo. Peu optimiste quant à son avenir de scénariste, la jeune recrue récupère l’idée maîtresse de son script pour façonner son personnage. Billy Brown et sa monomanie comique palpitent déjà derrière Paul Léger.

PROMESSES EVANOUIES

Malgré les évidentes connexions avec son vécu, Buffalo ‘66 ne devait pas être le film de Vincent Gallo. Le chef tatillon avait envisagé Viggo Mortensen, l’un des rares acteurs qu’il estime, dans le rôle de l’enfant maudit. Une figure pas si éloignée de Frank Roberts l’écorché vif d’Indian Runner, le premier long métrage de Sean Penn. Mais l’acteur ne peut se libérer de ses engagements. La mise en scène devait être confiée à Monte Hellman. Peine perdue, aucun producteur ne souhaite verser un kopeck sur un nom si peu couru. Une amie providentielle se propose de corriger les premières épreuves du bébé, en échange de quoi elle prendrait les commandes du tournage. Vincent Gallo flaire la débâcle. L’heure est venue de prendre congé de tout ce beau monde. Ainsi naît la légende du Narcisse mégalomane qui se lance dans une entreprise plus harassante que jamais. "Si je ne lis pas les scénarii des autres, ce n'est pas par narcissisme, c'est que je n'ai pas l'énergie nécessaire pour comprendre quelque chose d'étranger, qui dépasse ma propre expérience. J'ai été élevé dans une famille sans éducation où personne ne lisait" (extrait de la conférence cannoise, 2003). Vincent Gallo est allergique aux entremetteurs, les seconds couteaux se méfient de lui. La suspicion est de bonne guerre. Berceuse nostalgique et maîtrisée de bout en bout, Buffalo ‘66 en sort intact et immaculé.

J’AI HORREUR DE L’AMOUR

Les cadres pointilleux de Buffalo ‘66 rappellent le quadrillage des cahiers pour enfants. Vincent Gallo décompose le plan, y épingle des lambeaux de souvenirs, tend l’escabeau à ses décrocheurs d’étoiles. Une piste de bowling se métamorphose en scène de cabaret, un gramophone réveille la fibre musicale d’un père négligent. La photo granuleuse de Lance Acord (Lost in Translation) s’accorde aux façades inhospitalières de la ville de Buffalo. Mésestimé, blessé dans son orgueil (le garnement est accouché dans l’urgence et fait rater à sa mère un match d’envergure), Billy Brown redevient face à ses géniteurs le fils ingrat, une tache indélébile qu’on peine à éradiquer trente ans plus tard. Des parents, Billy n’attendra plus rien qu’un vague acquiescement. Des escrocs (Mickey Rourke en bookmaker inquiétant), il espérera une résolution à l’amiable. L’amour, elle, est une comédie plus retorse. De Layla, la danseuse blonde en petite robe de soie, il volera l’emploi du temps, quelques clichés et un cœur plus patient qu’il n’y paraît. Repoussée parce que trop attentionnée, la prisonnière vit très bien sa captivité, au-delà de toute espérance. A force de haine et d’attente déçue, en prison ou ailleurs, Billy tente de régler ses comptes par un ultime face-à-face avec un joueur grassouillet, responsable désigné de ses malheurs. Le mal a déjà propagé son venin, mais Buffalo ‘66 est le récit d’une délivrance. Pas à pas, Billy réapprend à aimer quand d’autres continuent de se déchirer.

par Danielle Chou

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Alison comment?

L’amie providentielle n’est autre qu’Alison Bagnall créditée au générique de Buffalo ‘66 en tant que co-scénariste. Vincent Gallo, en bonne vipère et redresseur de torts, révèle dans le livret de sa compilation Recordings of Music for Film la nature de leur relation de travail. En échange de relectures et de corrections gratuites, Bagnall souhaite réaliser Buffalo ‘66. Trop content de tomber sur une âme charitable prête à exhumer son scénario, Gallo accepte. Mais le regrette aussitôt. Sa nouvelle partenaire retouche à peine le script. Ou plutôt: Gallo lui empêche d’en retoucher un seul mot. Pour l’écriture du scénario, Gallo avait enregistré ses improvisations sur cassette avant de les coucher sur papier. Les séances de travail avec Alison obéissent à la même méthode pour plus d’interactivité. "J’éditerai un jour ces cassettes en CD. Vous entendrez Alison osant une suggestion et vous m’entendrez hurler pendant vingt-cinq minutes parce qu’elle vient de briser ma concentration".

Hasards ou coïncidences?

Producteur de Bully, American Psycho et Virgin Suicides, Chris Hanley était le propriétaire des Intergalactic Studios, dans lesquels Vincent Gallo avait enregistré la bande originale du film The Way It Is. C’est Hanley qui convainc Lion’s Gate Films de financer le projet de l’apprenti réalisateur. Rechignant d’abord à subir les contraintes d’un tournage, Gallo relève finalement le défi en sélectionnant avec minutie les morceaux qui figureront dans le film (Yes, King Crimson, Stan Getz / Eddie Sauter). Les titres qu’il ne parvient pas à payer, il décide de les composer lui-même en deux jours.

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