Bad Lieutenant

Bad Lieutenant
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Bad Lieutenant
États-Unis, 1992
De Abel Ferrara
Scénario : Abel Ferrara, Zoë Lund
Avec : Robin Burrows, Harvey Keitel, Vincent Laresca, Zoë Lund
Photo : Ken Kelsch
Musique : Joe Delia
Durée : 1h38

Malgré une irrémédiable descente aux enfers pour cause d'addiction aux drogues, à l’alcool et au jeu, un flic de New York connaît la rédemption grâce à son enquête sur le viol d’une nonne dans une église.

UN TOURNAGE DOULOUREUX

Bad Lieutenant est un film rare qui trouve sa force autant dans l’implication extraordinaire des principaux acteurs (au sens large) du film que grâce à un scénario mystique et funèbre. Le tournage de Bad Lieutenant se déroule dans un contexte particulier. En effet, l’interprète du personnage principal, Harvey Keitel (qui trouve avec Mean Streets et La Leçon de piano l’un de ses plus beaux rôles) connaît à cette époque un tournant dans sa vie sentimentale. Il vient d’être quitté par Lorraine Bracco et débute une liaison avec Heather Braken. Pour marquer cette époque de transition, il crée un lien indestructible et définitif avec le film et scelle son attachement intime et infini au bad lieutenant en s’impliquant personnellement dans la réalisation du film. C’est ainsi qu’il fait jouer à sa propre fille le rôle de l’un des enfants du lieutenant et à sa nouvelle compagne, le rôle d’une infirmière. Forts symboles qui expliquent à quel point l’acteur s’est s’investi dans l'interprétation, dans sa chair comme dans son sang puisque les prises de drogues sont réelles. Mais la force du personnage, et donc du film, ne s’explique pas seulement grâce à l’abnégation de Keitel pour son rôle mais également par la singularité de son réalisateur. Comme le lieutenant, Ferra n’est pas un personnage lisse mais, au contraire, un être torturé qui a goûté à tous les excès de la vie et dans lequel le personnage du mauvais flic se reflète étrangement. Aussi lorsque l’on voit évoluer le lieutenant dans les rues de New York, on a l’impression que cette silhouette étrange et torturée est la synthèse parfaite de l’auteur et l’interprète. Ferrera dit d’ailleurs de Keitel: "Ce film est un voyage sans répit dans les ténèbres. Vous pensez pouvoir rivaliser avec sa noirceur? La sienne dépasse tout". Le réalisateur et l’acteur ne font plus qu’un pour donner vie à un personnage et son parcours. Bad Lieutenant est du calibre des films comme Apocalypse Now qui, accouchés dans la douleur, laissent une trace indélébile dans l’histoire du cinéma et dans nos coeurs.

UN FILM MYSTIQUE

Les films de Ferrara ont cela de commun qu’ils laissent le spectateur à bout de souffle, sous le choc de la déferlante d’images et de questions soulevées par la mise en scène. Mais la particularité de Bad Lieutenant est d’être à la fois le film le plus intime et le plus lumineux de son auteur. Le scénario (co-écrit par Zoë Lund, morte d’une overdose en 1999 et qui joue également le rôle de la maîtresse du mauvais lieutenant) soulève la dualité du christianisme, à la fois fardeau et élévateur de nos âmes. Film extasié s'il en est, Bad Lieutenant fait sans cesse référence au sacrifice christique et inclut son personnage principal dans une mysticité permanente, souvent lamentable et douloureuse (la scène où il danse nu avec les prostituées en s’abandonnant à la douleur, les bras en croix), libératrice et rédemptrice parfois (la discussion dans l’église avec la religieuse violée). Martin Scorsese dit de Bad Lieutenant: "C’est un film clef, j’aurais aimé que La Dernière Tentation du Christ lui ressemble… Mais je n’ai pas obtenu certaines images, sans doute parce que je traite directement de l’image du Christ. (…) Le rôle dans Bad Lieutenant représente pour Harvey Keitel ce qu’il a cherché toute sa vie. (…) C’est un film exceptionnel, extraordinaire, même s’il n’est pas au goût de tout le monde… (…) C’est également un film pour lequel j’ai la plus grande admiration. On y voit comment la ville peut réduire quelqu’un à néant et comment, en touchant le fond, on peut atteindre la grâce. C’est le film new-yorkais ultime… (…) Si on ose, il faut suivre le personnage jusque dans la nuit. C’est pour moi l'un des plus grands films qu’on ait jamais fait sur la rédemption… Jusqu’où on est prêt à descendre pour la trouver…". On ne pouvait lui rendre plus vibrant hommage.

par Yannick Vély

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