A bord du Darjeeling Limited
The Darjeeling Limited
États-Unis, 2008
De Wes Anderson
Scénario : Wes Anderson, Roman Coppola, Jason Schwartzman
Avec : Adrien Brody, Anjelica Huston, Amara Karan, Bill Murray, Natalie Portman, Barbet Schroeder, Jason Schwartzman, Owen Wilson
Photo : Robert D. Yeoman
Durée : 1h47
Sortie : 19/03/2008
Trois frères qui ne se sont pas parlés depuis la mort de leur père décident de faire ensemble un grand voyage en train à travers l'Inde afin de renouer les liens d'autrefois. Pourtant, la "quête spirituelle" de Francis, Peter et Jack va vite dérailler, et ils se retrouvent seuls, perdus au milieu du désert avec onze valises, une imprimante, une machine à plastifier et beaucoup de comptes à régler avec la vie... Dans ce pays magique dont ils ignorent tout, c'est alors un autre voyage qui commence, riche en imprévus, une odyssée qu'aucun d'eux ne pouvait imaginer, une véritable aventure d'amitié et de fraternité...
UNE FAMILLE ABORDABLE
Le nouveau Wes Anderson a l’allure et la patine des anciens Wes Anderson. Un goût affirmé pour l’élégance, aussi fluette que désuète, une maîtrise raffinée de l’espace (une chambre, un bateau, un train): plus le lieu est contraignant, plus Anderson prend ses aises. Le plus petit recoin caché est un trésor d’inventivité. A bord du Darjeeling Limited a gardé la mélancolie en apesanteur et les effluves harmonieuses de Rushmore, de La Famille Tenenbaum et de La Vie aquatique. On aime un film d’Anderson comme on chérit une chanson. Un format court, un air entêtant, un refrain bien balancé, des souvenirs qui s’attachent à une rime et s’agrippent obstinément à une guitare ou un piano. A bord du Darjeeling Limited aime ainsi raviver le souvenir comique et angoissant d’une chanson, celle que Jack (Jason Schwartzman) associe au visage et aux courbes de son ex-fiancée (Natalie Portman). Mais à bord du petit train qui les mène vers une destination incertaine, Francis, Peter et Jack butent sur des fausses notes et des formules de politesse usées jusqu'à la corde. Les frères Whitman ruminent les mêmes reproches et les mêmes rancœurs. Chacun terré dans son coin. Chacun avec ses bagages, sa fierté déplacée, une insulte mal digérée, un passé un peu trop lourd à porter. La nouvelle chanson de Wes Anderson ne s’apprivoise pas immédiatement.
SILENCE, ON INFUSE
Le cadre a toujours son importance. Le train occupe le premier plan et trace une ligne monocorde et rassurante, bien régentée et bien compartimentée. Wes Anderson transporte ses acteurs comme s'il promenait des petits soldats en plomb, malhabiles et bornés. Sans surprise, les frères Whitman traînent un poids douloureux derrière eux, figuré par des bandages (pour soutenir une tête fêlée), une vieille paire de lunettes (pour dissimuler des yeux embués) et une imposante pyramide de bagages. A l'instar de La Vie aquatique, où il dévoilait la coupe d'un bateau, tout relève du jeu, de la maisonnette hostile et familière, parfois cruelle. Les adultes jouent aux enfants, revivent inlassablement les maux de leur enfance et vont jusqu'à sauver des enfants de la noyade. Chacun des frères tente de sauver "le sien". L'image est on ne peut plus parlante. On se chamaille un héritage (une ceinture porte-bonheur), on obéit aux règles édictées par les parents - deux grands absents. Francis l'aîné chaperonne Peter et Jack en énonçant dès le début du voyage un code de bonne conduite. A bord du Darjeeling, dans des espaces exigus et contigus, les frères dissipés apprennent à parler d'une même voix, à rester sur la même longueur d'onde, à marcher au même pas. A faire la paix et à se tenir la main.
DE L'ENFER AUX CHAMPS ELYSEES
A bord du Darjeeling Limited n'est jamais plus qu'une quête spirituelle un peu bidouillée, avec les moyens du bord, par la grâce du hasard qui fait dérailler le train, par la force de l'imagination et la révélation d'une complicité insoupçonnée. Wes Anderson additionne les petites bévues, collectionne les beaux objets (les bagages sont siglés comme les chaussures de sport de La Vie aquatique), ressasse des rituels un peu compassés, fait tenir en équilibre des petits cailloux posés les uns sur les autres. Le film ressemble à cet amas de pierres poussiéreuses et oubliées; il trouve son identité dans un méli-mélo de futilités et de tergiversations répétées. Eternels retardataires, éternellement en décalage, Francis, Peter et Jack courent après un train qui ne les attend jamais. Quand ils se remémorent les funérailles de leur père, les frères Whitman se revoient hésiter, balbutier, repousser la cérémonie. Ce n'est qu'à l'autre bout du monde, au sein d'une famille à laquelle ils n'appartiennent pas, qu'ils trouvent la réponse à leurs tourments. Francis se défait de ses pansements, Peter envoie ses valises au diable. Jack retrouvera peut-être la fille de ses rêves.