Madonna

Madonna
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Réalisatrice, Scénario, Actrice
États-Unis
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Madonna et le cinéma. Deux mots qui, dans la même phrase, peuvent éventuellement prêter à sourire et évoquent rarement une alliance artistique évidente. Pourtant, pour qui a su voir derrière les faux nanars et choix étranges, la filmographie de la Madone s’avère un passionnant autoportrait en creux. Comme le disait Isabelle Huppert, les grands films sont tous des biographies de leurs acteurs. Si la filmographie de Madonna (dont le dernier album Rebel Heart vient de sortir) compte peu de chef d’œuvres incontestés, ses meilleurs rôles ont été pour elle l’occasion de se livrer comme jamais.

BLONDE AMBITION (1985 – 1990)

Madonna l’a crié sur tous les toits avant même qu’on commence à sérieusement s’intéresser à elle : elle veut conquérir le monde. En parallèle de son statut naissant de star de la pop, elle se verrait bien accrocher à son tableau de chasse une carrière de star de grand écran. A l’époque où elle traine son ambition dans les boites arty de Manhattan, on la croise dans quelques projets undergound. Mais son premier « vrai » film, celui qui lui fait crever l’écran et qui imprime définitivement son look dans les rétines du monde entier, c’est bien sûr Recherche Susan désespérément. Lorsque débute le tournage, Madonna n’est encore qu’une jeune chanteuse parmi d’autres, mais son deuxième album Like a Virgin sort entre temps et en quelques jours le tournage dans les rues de New York est pris d’assaut par les fans. Le film n’est pas encore sorti que la madonnamania vient d’exploser, et contamine même Cannes où le film est présenté à la très sérieuse Quinzaine des Réalisateurs. Madonna impose son look et sa personnalité avec un tel naturel qu’on dirait qu’elle improvise. Pourtant le rôle n’a pas été écrit pour elle mais Ellen Barkin. Cette dernière n’est pas la seule à l’avoir en travers de la gorge puisque Rosanna Arquette, qui joue pourtant le rôle principal du film, se retrouve complètement éclipsée par la starlette, reléguée à l’arrière-plan promotionnel de ce qui devient vite « le film de Madonna ». Susan… n’est pas qu’un long clip pour autant. Placé selon les propres dires de la réalisatrice dans l’héritage de Céline et Julie vont en bateau de Rivette, le film peut se voir avec le recul comme un prequel fluo et léger à Mulholland Drive (une jeune femme devient amnésique, confond sa personnalité avec celle de la jeune inconnue qui l’aide, puis trouve une mystérieuse clé dans son sac, sans savoir ce qu’elle ouvre, ça vous rappelle quelque chose ?), mais aussi un film sur Madonna : sur son statut de star, à la fois bonne copine et modèle d’indépendance féminine. Ce rôle de loubarde gentiment rebelle contient surtout le germe d’une ambivalence qu’on retrouve plus tard en filigrane dans toute la carrière cinématographique de Madonna.

Le reste de la décennie n’est pas à la hauteur de cette révélation, et Madonna entame alors sa grande tradition de choix de carrière moisis au cinéma. Si elle tient d’une main de fer sa carrière musicale, lui assurant de traverser les décennies sans jamais tomber dans le hasbeenat à l’inverse de ses concurrentes, sa carrière d’actrice semble prendre la pente inverse. Avec son mari d’alors, Sean Penn, elle s’embarque dans le tournage catastrophe de Shanghai Surprise (inspiré d’African Queen), où toute l’équipe réussit à se fait kidnapper par les locaux. Tout comme Who’s That Girl l’année suivante (dont personne ne se rappellerait aujourd’hui sans la chanson éponyme), le film ne fait que des déçus, Madonna la première. Mais le come-back guette.

FEMME FATALE (1989 – 1995)

A l’aube des années 90, Madonna a grandi, muri, et tient à la prouver. Son album introspectif Like a Prayer reçoit des éloges alors inédites, elle reprend sa couleur de cheveux naturelle, n’a plus peur d’aborder des sujets controversés, elle a divorcé et survécu à une relation violente. Elle se sent prête pour des rôles de vraies femmes. C’est à cette période qu’elle laisse éclater sa fascination pour le glamour des stars de l’âge d’or hollywoodien : le name-dropping du pont mi-parlé mi-slamé de Vogue, la pochette de Bedtime Stories en hommage à Jean Harlow, son imitation de Marlene Dietrich sur la tournée The Girlie Show… Elle qui se donnait déjà des rôles à jouer dans ses propres clips (la strip-teaseuse d’Open your Heart, la fille-mère de Papa Don’t Preach), rencontre alors son réalisateur idéal : David Fincher. Il lui offre des clips à la démesure de son ambition, sans lésiner sur les décors, les effets spéciaux, les vrais scénarios et les budgets. Aujourd’hui encore, leurs collaborations sont considérées comme les meilleurs vidéos de la star : Vogue, Express Yourself, Bad Girl

Passons sur l’ultime tentative de comédie populaire avec le vulgaire et navrant Une équipe hors du commun (dont on se rappelle surtout grâce à sa couleur de cheveux) et sur le Woody Allen où son rôle est malheureusement trop anecdotique. Madonna pense tenir son grand rôle avec celui de Breathless Mahoney dans Dick Tracy, qui lui permet de sortir son grand numéro de féline choucroutée. Si le film est aujourd’hui tombé dans les limbes de l’oubli, c’est la toute première fois de sa carrière qu’elle reçoit des critiques positives pour son jeu. Quentin Tarantino déclare d’ailleurs à propos de sa performance: « Elle est la seule dans le film a savoir ce qu’elle fait ». Là encore, c’est un compliment qu’on n'a pas dû lui faire souvent. Mais qui dit femme fatale dit sexe, et c’est aussi la période la plus provocante de Madonna : scandale de son livre de photos porno-chic Sex, clip censuré d’Erotica, partouze chic dans celui de Justify My Love, la sortie du documentaire Truth or dare pour le marché français sous le titre très racoleur In Bed with Madonna, elle mime la masturbation sur scène et jette sa culotte au public lors de son Blonde Ambition tour… Mêmes les fans commencent à craindre l’overdose de fesses. Elle s’engage à tourner Body of Evidence (thriller érotique typique de l’époque, on s’étonne presque de ne pas y croiser Michael Douglas) avec un réalisateur indépendant qui ne fait malheureusement pas le poids face aux studios, et ne parvient pas à défendre un film que personne n’a envie de prendre au sérieux comme il le mériterait. La coupe est pleine, Madonna souhaite passer à autre chose et refuse le rôle principal de Showgirls, de Verhoeven.

Ce que personne n’a réussi à percevoir derrière toute cette cascade de seins et de culottes jetées en l’air, c’est l’ambition artistique de Madonna. Elle veut un vrai projet, et pour cela elle est prête à mettre la main à la pâte. Suite à la collaboration avortée avec Jennifer Lynch, qui lui proposait le rôle titre de Boxing Helena (une femme-tronc amputée par son amant, un rôle au final plus fascinant que le film en lui-même), elle produit elle-même Dangerous Game (Snake Eyes en « VF ») d’Abel Ferrara, où elle joue le rôle principal. Se doute-t-elle de ce qui l’attend alors ? Scenario réécrit sur le plateau, film remonté dans son dos avec notamment l’utilisation imprévue de scènes d’improvisation: Madonna ne reconnait pas du tout le film qu’elle avait imaginé. Son verdict une fois le film fini ? « Il s’est complètement foutu de ma gueule, mais bon, malgré ça je me trouve pas mal dans le film». Notre verdict ? Tout simplement le meilleur film de sa carrière, et de loin sa meilleure performance. Et pourtant l’un de ses pires bides : le film ne sort même pas en salles aux États-Unis et n’est pas compris par ses fans qui ne veulent pas de cette image de la Madone déchue et humiliée. Sa performance prouve en tout cas que Madonna peut être très bonne quand il y a quelqu’un derrière la caméra pour la diriger, ce qui n’a pas été souvent le cas dans sa carrière. Surtout, ce personnage de Sarah Jennings est peut-être, avec celui d’Evita, le plus représentatif des thèmes qui sous-tendent toute sa filmographie : celui d’une femme ambigüe à qui les hommes veulent faire payer son indépendance. Le personnage d’Harvey Keitel, à force de la désirer sans pouvoir la posséder, finit par la mépriser et vouloir la détruire. Le « personnage madonnien » est presque toujours vu à travers le regard de personnages masculins, qui n’ont d’autres alternatives que de la salir, la souiller. Madonna est d’une telle notoriété que les réalisateurs ne l’engagent pas innocemment, et doivent soit magnifier son image de star, soit la pervertir. De par ses choix, Madonna prouve qu’elle n’a pas peur de cette seconde option.

SANTA EVITA (1996)

A la moitié des années 90, Madonna a une revanche à prendre. Pas contre la critique ou contre le box office, mais contre Michelle Pfeiffer. Madonna avait en effet auditionné pour Susie et les Baker Boys et pour le fort convoité rôle de Catwoman dans Batman le défi. Quand elle apprend qu’une adaptation de la comédie musicale Evita se prépare, son sang ne fait qu’un tour. Mais quand elle apprend que Michelle Pfeiffer (mais aussi Meryl Streep) est dans les starting-blocks pour ce rôle à Oscar, elle décide de ne pas ménager ses efforts. Elle écrit illico la lettre de motivation la plus longue et la plus sincère de sa carrière à Alan Parker. Elle accepte même de prendre des cours de chant, ce qui à ce stade de sa carrière de doit pas être une mince pilule à avaler. La ressemblance physique est frappante, mais Madonna a raison : la filiation ne s’arrête pas là. Si le film peut être vu comme une simple reconstitution historique, il est avant tout un véritable biopic déguisé de Madonna. Plus encore, il peut se lire comme une fascinante analyse sur le regard que les les hommes (hétéros – les homos étant plus majoritairement acquis à sa cause) portent sur elle. Comme Madonna, Evita part en effet de rien du tout, d’un trottoir plein de poussière, et n’a pas de remords à utiliser son physique et sa féminité pour s’assurer que son destin soit bien de la même taille que ses ambitions. Alors que les paroles du livret original la dépeignent clairement comme une arriviste, Madonna tire justement son épingle du jeu en interprétant Eva Peron au premier degré, croyant à fond à l’honnêteté de son personnage et sans jamais remettre en cause sa sincérité. Tout comme Sarah Jennings, Eva/Madonna est moquée, diminuée, affaiblie et finalement détruite par le regard que les hommes de pouvoir portent sur elles. Petite fiancée du peuple considérée comme une pute à fric, c’est à dire à la fois vierge et martyr : encore une fois un personnage de femme indépendante qui doit payer son ambition.

TAKE A BOW

Cela a pris du temps, mais Madonna a enfin acquis publiquement une crédibilité d’actrice. Aucune nomination aux Oscars mais un Golden Globe dans sa besace. Alors que sa carrière musicale, légèrement en berne au milieu des 90’s, s’apprête à connaitre une résurrection et une crédibilité encore supérieure avec un virage electro, c’est l’inverse qui se profile pour le cinéma. Madonna ne retrouve aucun rôle aussi intéressant et aucun écrin dans lequel tenter de faire ses preuves. La décennie qui s’annonce va être celle des nanars, rappelant ses plus mauvais choix des années 80. Une dégringolade inversement proportionnelle à sa crédibilité musicale. Elle tourne avec son meilleur ami Rupert Everett dans l’oubliable et oublié Un couple presque parfait, puis avec son second mari Guy Ritchie dans Swept Away, bide monumental qui sort directement en dvd aux États-Unis dans lequel son mari s’amuse (?) à humilier son personnage d’un bout à l’autre du film. Tiens tiens. Un rôle aurait pu la sauver : Celui de Fridha Kahlo dans le biopic de Julie Taymor. Malgré sa motivation, le film s’ajoute à sa liste de projets avortés.

C’est alors que Madonna jette l’éponge. 16 fois nommées aux Razzie, 9 fois gagnante, titulaire du prix de la pire actrice de la décennie et même de la pire actrice du siècle (!), que peut-elle attendre de plus ? Mise K.O. par les critiques, elle déclare forfait, mais prend tout le monde de court en passant à la réalisation. Une mégastar de la chanson d’une cinquantaine d’années qui décide qu’elle veut faire un film ? Cela a tout les aspects d’un caprice de star et sur le moment personne ne cherche vraiment à voir au-delà. Pourtant Madonna a bien pris soin de déjouer tout ce qu’on pouvait attendre d’elle. Elle présente Obscénité et Vertu comme un film « Européen », se réclamant vaguement de la liberté de ton et de réalisation de la Nouvelle Vague. « Je ne saurais pas réaliser un film américain, parce que je n’ai jamais pensé comme une Américaine. J’adore l’ironie et les sous-entendus, aux États-Unis même les films sont trop carrés ». Elle a beau ne pas jouer dans le film, cela masque à peine le coté autobiographique de ce récit de ses années de bohème, à l’heure de son arrivée à New York. Dommage que le long métrage ne soit jamais à la hauteur de ses ambitions : sans être une honte absolue, le film a très peu de qualités à défendre. Or pour W.E., son second film, Madonna a semble-t-il bouffé du lion, faisant preuve d’une assurance dans la mise en scène et l’écriture qu’on n’attendait pas aussi tôt. Le personnage principal est une américaine au caractère bien trempé, exilée par amour dans la royauté anglaise où tout le monde la prend pour une arriviste prête à écarter les jambes, ça vous rappelle quelqu’un ? Mais cette fois Madonna a semble-t-il compris la clé du problème. Jusqu’ici, ses personnages n’existaient que par le regard des hommes (même dans Recherche Susan désespérément, les deux héroïnes ne se croisaient jamais) : or pour la première fois de sa filmographie, c’est par l’écho qu’elle rencontre chez un autre personnage féminin que son héroïne trouve finalement la rédemption.

par Gregory Coutaut

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