W.E.
États-Unis, 2011
De Madonna
Scénario : Alek Keshishian, Madonna
Avec : Abbie Cornish, James D'Arcy, Andrea Riseborough
Photo : Hagen Bogdanski
Musique : Abel Korzeniowski
Durée : 1h59
Sortie : 09/05/2012
Londres, décembre 1936. Pour pouvoir épouser l’américaine Wallis Simpson, déjà deux fois divorcée, le Roi Edouard VIII est contraint d’abdiquer, quelques mois seulement après le début de son règne. New-York, février 1998. Malheureuse dans son mariage, Wally Winthrop passe ses journées à l’exposition qui précède la vente aux enchères, chez Sotheby’s, des objets ayant appartenu au Duc et à la Duchesse de Windsor. Wally découvre alors peu à peu ce qu’a été la vie de Wallis.
WHAT IT FEELS LIKE FOR A GIRL
Est-il possible de parler de W.E. sans le voir à travers le prisme de sa réalisatrice ? Sans se laisser influencer par ce que l’on croit pouvoir y projeter d’elle ? La réponse est oui. W.E. est un film dont il est très facile de mal parler, qu’il est aisé de voir de manière déformée et condescendante en le réduisant à un caprice de superstar de la pop (donc forcément superficielle ?) connue pour ses provocations sexuelles (donc forcément idiote ?), ayant décidé de passer à la réalisation à la cinquantaine (une démarche fatalement louche et artificielle ?). On peut dire tout ça et on a tort, car on oublie alors le principal, l’évident : qu’il s’agit d’un vrai film, un bon film même. Les premiers surpris seront peut-être ceux (les rares) qui avaient vu son premier film, Obscénité et vertu, essai peu concluant qui ne dépassait jamais vraiment le stade de ses balourdes intentions indés. Madonna a semble-t-il bouffé du lion : l’alternatif-toc a laissé place à une œuvre maitrisée, surprenante, avec une vraie personnalité.
W.E. n’est pas le film auquel on s’attend, et tant mieux. Ce n’est ni un biopic, ni une reconstitution historique alourdie par une admiration fétichiste pour la royauté anglaise. Dès le début, les scènes très courtes et très gros plans s’entremêlent dans un rythme aussi soutenu qu’inattendu, comme si le film lui-même battait la chamade. Ce qui pourrait passer pour une précipitation brouillonne et superficielle (à force de trop étreindre, le film fait craindre de passer au-dessus de ses personnages sans les laisser vivre), s’avère au contraire une rapidité très calculée et à la grande force évocatrice. D’une part W.E. peut se vanter d’une qualité rare : durer deux heures et passer en un clin d’œil sans le moindre temps mort et sans être étouffant ; d’autre part c’est surtout la manière bien particulière de Madonna de coller au plus près de son sujet. En gardant ainsi la tête dans le guidon, elle déroule le fil de son scénario à la manière d’un courant de conscience, où tout semble surgir abruptement : les souvenirs impromptus comme les élans du cœur. Ce que l’on voit est moins un tourbillon historique qu’une tornade amoureuse vécue à la première personne, montrée de l’intérieur.
Car au final, de quoi parle le film ? Ni de Wallis ni de Wally (coupée de son écho historique, la destinée de cette dernière n’est d’ailleurs pas très fascinante). Rois, reines, salons chics et bijoux ont beau être de tous les plans, ils ne servent que des prétextes, d’exemples ou de métaphores pour parler d'une chose plus ambitieuse : le point de vue féminin. Comment on vit une relation qui mélange amour et destruction, violence et sentiments, quand on est une femme ; comment on envisage le sacrifice avec résignation ou non quand on est une femme. En utilisant le courant de conscience donc, et une structure en écho qui rappelle (de manière parfois un peu littérale) Virginia Woolf, Madonna montre que c’est cela qui l’intéresse ici : témoigner de ce vécu là, What it feels like for a girl, comme elle le chantait. Mine de rien, cette manière de coller sans discontinuer à ses personnages tout en parlant au final d’autre chose, de ne pas être dupe non plus des pièges de la reconstitution historique stérile, cela relève d’une ambition et d’une maturité scénaristique assez rare, et qu’on n’attendait certainement pas aussi tôt dans sa carrière de réalisatrice.
Virgina Woolf et Madonna dans la même phrase ? Cette dernière va sans doute payer d’avoir eu en tête un tel rapprochement. On l’aurait sans doute moins raillée d’avoir fait une comédie romantique sans personnalité. Aurait-il fallu qu’elle signe son film d’un pseudonyme pour le rendre crédible ? Il y a quelques semaines sortait sur les écrans le premier long-métrage d’Angelina Jolie. Face à la sincérité de sa surprenante démarche aussi anti-hollywoodienne qu’anti-potiche, personne n’a crié à la petite fille riche. Ironie du sort : Madonna ne bénéficiera probablement pas d’un centième de cette bienveillance. Or W.E. est également intéressant par ce qu’il dévoile en filigrane de sa créatrice. Le personnage central de Wallis (exilée américaine encombrante dans la bourgeoisie britannique, ça vous rappelle quelqu’un ?) colle en effet parfaitement à la thématique récurrente de son œuvre cinématographique et musicale : la femme ambivalente mi-sainte-mi putain (comme ses rôles-clés dans Evita ou Snake Eyes, entre autres), incomprise des hommes comme des femmes car trop fière pour s’excuser, et surtout trop pressée et énergique pour fournir à tous une gentillette grille d’interprétation en guise de carte de visite. Or de l’énergie, W.E. en a à revendre. On ne s’attendait pas à une évolution aussi rapide de la maitrise et de l’assurance de Madonna en tant que réalisatrice, mais on s’attendait peut-être encore moins à autant d’audace et de modernité discrète. Lâchons le mot : un vrai film d’auteur.