John Waters
États-Unis
Pope of trash (Pape des détritus), Prince of puke (Prince du vomi), John Waters est le plus grand cinéaste scato, le roi du non politiquement correct, le poil à gratter d’un cinéma américain trop lisse, un artiste iconoclaste naïf et outrancier capable du meilleur et du rire.
Après trente-cinq ans de carrière sans compromis commercial et toujours la volonté de repousser les limites du bon goût et du montrable, il est enfin anobli par la critique du monde entier. Des rétrospectives fleurissent dans les cinémas d’art et d’essai et en 1997, il reçoit un prix pour l’ensemble de sa carrière au Festival du Film Américain de Deauville. Une reconnaissance tardive pour un génie du septième art, un fils de Russ Meyer et de Federico Fellini. Il a inventé le film nauséabond en odorat, Polyester, a fait manger de la merde à une poupée Barbie poilue dans Pink Flamingos, a filmé la première mère de famille américaine psychotique dans Serial Mother. Bref, il a mis à feu et à sang la morale de l’establishment hollywoodien par des farces potaches dans lesquelles l’amour ne triomphe pas toujours, des petites fables trash sur des marginaux jusqu’alors absents des écrans de ciné. Natif d’une ville américaine anodine, Baltimore dans le Maryland, élevé dans une école catholique, John Waters a toujours eu le cinéma dans les tripes, la caméra au bout du poing, du majeur même, bien dressé contre la bienséance omniprésente des Etats-Unis des années Nixon. Viré de la section cinéma de l’Université de New York pour avoir fumé un pétard, John Waters vend ses premiers films à la criée et organise des projections spéciales à la réputation orgiaque grandissante.
Il fonde sa propre troupe de comédien et prend pour égérie Divine, de son vrai nom Harris Glenn Milstead, la première star travestie de l’histoire du cinéma américain. En 1972, il réalise son film culte, Pink Flamingos. La scène scato jouissive et repoussante – oui, oui, Divine mange bien de la merde – cache un petit bijou féroce sur le rêve américain. Avec ses amis, ils continuent de s’amuser avec les conventions, écrit, réalise et interprète trois films plus acides et loufoques les uns que les autres: Female Trouble, Desperate Living et Polyester, nauséabond surtout au sens propre... Ses films deviennent cultes dans les campus américains, les cinéphiles européens s’approprient ce cinéaste iconoclaste, la ville de Baltimore instaure un "jour John Waters". C’est le début de la reconnaissance mais aussi celui d’une longue traversée du désert, sept ans d’un trou noir créatif sur le plan cinématographique. En 1988, il entame son come-back. L’époque a changé. Les mœurs sont bouleversées. Il ne brise donc plus les tabous par le dégoût et les images chocs mais en mettant à jour "the dark side of the moon", la face cachée d’Hollywood. Avant Popstars et Star Academy, avant la télé-réalité et ses cruches-stars, il y a eu Hairspray, une comédie musicale avec Divine et Sonny Bono.
L’histoire de Tracy Turnblad, une vraie bombe sexuelle noire qui devient célèbre en chantant et dansant dans une émission de télé. La gloire avant la chute, le rêve puis la déchéance: on n’échappe pas si facilement à la marginalité quand on est noir et pauvre... Avant le Romeo + Juliet de Baz Luhrman, il modernise la pièce de Shakespeare dans une version kitsch et décalée, situant l’intrigue dans l’Amérique des années 50, celle d’Elvis Presley et de Happy Days. Cry Baby révèle un jeune acteur de série américaine, un certain Johnny Depp. Surprise, il devient "in" à Hollywood. On s’arrache ce talent si particulier. Jouer avec John Waters devient l’exemple même de la branchitude auteurisante. Va t-il s’assagir? C’est bien mal connaître l’ami John. Malgré la notoriété et le capital sympathie de Kathleen Turner, alors une authentique star auprès du public américain, John Waters l’imagine en mère modèle américaine psychopathe et signe avec elle un grand défouloir contre la bonne vieille famille américaine. Serial Mother, son plus grand succès public, clôt le Festival de Cannes, ultime consécration pour cet amoureux du septième art qui vénère à la fois Ingmar Bergman et Ed Wood. Désormais, John Waters est un cinéaste établi. Divine décédée d'une attaque cardiaque, il ne lui reste plus qu’à filmer les souvenirs de son art de contrebande (Pecker, Cecil B. DeMented) en gardant précieusement son secret de fabrique, son éternel mauvais goût.
En savoir plus
2004 A Dirty Shame 2000 Cecil B. DeMented 1998 Pecker 1994 Serial Mother 1990 Cry Baby 1988 Hairspray 1981 Polyester 1975 Female Trouble 1972 Pink Flamingos