Bruno et Denis Podalydès

Bruno et Denis Podalydès. Une fratrie peu ordinaire dans le monde du cinéma. De deux ans l’aîné, le premier écrit et réalise des comédies humaines aussi drôles que mélancoliques. Il met en scène le cadet, immense acteur dont le potentiel reste sous exploité par le cinéma français. Denis n’est jamais aussi touchant que sous le regard attendri de son grand frère.

BOULE ET BILL

Quel mystère entoure la chambre d’enfant de la famille Podalydès? Comment expliquer l’alchimie qui unit ces deux frères? De leurs propres aveux, les rôles sont bien établis depuis leur plus tendre enfance. Bruno l’aîné, manuel anxieux et perfectionniste, embarque son petit frère Denis, boule d’énergie extravertie, dans des aventures rocambolesques inspirées de leurs lectures enfantines. Le parc de la maison de vacances devient un terrain de jeu sans barrière, tout entier dévoué à l’imagination des deux garnements. Les "Poda" réinterprètent à l’infini Tintin, Mandrake le Magicien, Spirou et Fantasio, les enquêtes de Rouletabille... Bruno gardera une profonde nostalgie pour ces instants de bonheur partagés et glissera dans sa filmographie de nombreux clins d’œil aux œuvres qui ont forgé son caractère. Fou amoureux du septième art, leur père organisait chaque dimanche après-midi des projections de grands titres du patrimoine. Les yeux écarquillés, Bruno et Denis tombent aussitôt sous le charme des univers de Charlie Chaplin, Blake Edwards, Howard Hawks et plus tard Alain Resnais et Woody Allen. Une vocation est née. Bruno débute sa carrière de metteur en scène par des films d’entreprise pour Air France dans lesquels il dirige déjà Denis. Ils sympathisent avec de jeunes comédiens qu’ils ne quitteront plus: Jean-Noël Brouté, Patrick Ligardes et Isabelle Candelier, présents dans tous leurs films.

CHATEAU DE SABLE

Munis de quelques sous en poche, ils se lancent dans le court métrage Versailles rive gauche, premier volet d’une trilogie (Dieu seul me voit est sous-titré Versailles chantiers). Bruno écrit et filme, Denis participe au scénario mais surtout fait l’acteur. Le succès est immédiat. Ce petit bijou de fantaisie obtient de nombreux prix dont un César en 1992. Ami des deux frères, Arnaud Desplechin évoque le cinéma de Bruno Podalydès comme "un immense piège à attraper tout ce qui drôle." Définition particulièrement judicieuse: Dieu seul me voit, Liberté-Oléron et Le Mystère de la chambre jaune doivent justement leur réussite à ce sens inné de l’humour basé sur des détails insignifiants, cette maladresse si humaine du protagoniste et de ses acolytes. Auteur avant d’être amuseur, Bruno Podalydès ne court pas après le gag à tout prix. Dans Liberté-Oléron, son meilleur film peut-être, il n’hésite pas à clore une comédie légère par la soudaine crise d’angoisse de son père de famille. A une écriture précise qui cerne avec élégance les fragilités humaines pour transformer le moindre sous-entendu en quiproquo éventuel, s’ajoute une mise en scène simple et délicate qui refuse le montage excessif. Imitant les mécanismes du plasticien Fabien (qui ornent les différents chapitres du Mystère de la chambre jaune), amateur des cartoons survoltés de Tex Avery, le cinéaste joue sur le caractère inéluctable des situations pour provoquer les fous rires.

FAMILLE EN OR

Les "Poda" travaillent en famille dans une ambiance bon enfant qui rejaillit de toute évidence sur la qualité du film. Vieux routier du cinéma, Michael Lonsdale raconte dans Studio que le tournage du Mystère de la chambre jaune a été "le film le plus heureux qu’[il ait] jamais fait, un film soleil". Pierre Arditi dissèque quant à lui la méthode des Podalydès: Bruno le méthodique prépare chaque scène dans ses plus petits détails, jusqu’à l’arrivée de Denis la tornade, qui apporte par sa gestuelle une immense liberté à ce cadre rigide. Inépuisable, l’acteur ballade ses faux airs bougons d’un plateau de tournage à l’autre. Sa carrière passe aussi par les planches. Sociétaire de la Comédie Française depuis décembre 1999, il peaufine ses talents d’orateur en interprétant des pièces du répertoire, avec à la clé un Molière du meilleur acteur. Même si son emploi du temps est surchargé, il réserve toujours une place de choix aux travaux de son grand frère. Et quand celui-ci lui apprend qu’il veut un acteur plus jeune pour interpréter Rouletabille, l’un de ses héros préférés, il transforme son apparence physique pour devenir un jeune héros de bande dessinée. Entre les deux, il y a sans doute plus qu’une complicité cinéaste-acteur: une vraie tendresse fraternelle, toujours palpable à l’écran. C’est peut-être ça le secret du duo Podalydès.

par Yannick Vély