Minuit dans le jardin du bien et du mal

Minuit dans le jardin du bien et du mal
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Minuit dans le jardin du bien et du mal
Midnight in the Garden of Good and Evil
États-Unis, 1997
De Clint Eastwood
Scénario : Lee Hancock John
Avec : John Cusack, Alison Eastwood, Irma P. Hall, Jude Law, Kevin Spacey
Photo : Jack N. Green
Musique : Ziggy Elman, Johnny Mercer, Lennie Niehaus
Durée : 2h35
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Le jeune auteur John Kelso est envoyé à Savannah par le journal Town and Country pour couvrir la soirée de Noël, donnée par l’amateur d’art Jim Williams. Au lendemain de la fête, Kelso apprend que son hôte est arrêté pour meurtre.

UN DERNIER VERRE POUR LA ROUTE

Vingtième film de Clint Eastwood en vingt-six ans, Minuit dans le jardin du bien et du mal est adapté du best seller éponyme. Ce roman écrit par John Berendt en 1994 est inspiré d’un célèbre fait divers survenu en mai 1981, ayant ébranlé la petite ville de Savannah. Le procès de Jim Williams, point central de l’intrigue, est connu dans les annales juridiques pour être l’un des plus longs de l’histoire des Etats-Unis (huit années et quatre jurys différents). Jugeant ce projet ardu et voulant s’approprier pleinement les sujets abordés dans le livre, Clint Eastwood a préféré privilégier la réalisation et la direction d’acteurs en se contentant de rester derrière la caméra, comme il l’avait déjà fait pour Breezy (1973) et Bird (1988). L’œuvre qui en ressort est plus qu’un film, plus qu’une simple adaptation; elle est la représentation d’un état d’esprit, celui de la Georgie. Le réalisateur plonge dans cette atmosphère si particulière du sud des Etats-Unis. Il en visite les lieux, les coutumes, les icônes et les fantômes, pour mieux développer les thématiques qui lui sont propre. A l’instar d’Impitoyable, Minuit dans le jardin du bien et du mal est un condensé de tout un aspect de sa carrière de réalisateur.

BIENVENUE A SAVANNAH

Savannah, perle du sud aux maisons élégantes et riches, aux parcs luxuriants et envoûtants et aux coutumes ancestrales, est une petite bourgade où tout le monde se connaît et se côtoie. Afin de reconstituer ce monde étrange et fascinant, Clint Eastwood s’est appliqué à filmer ces lieux typiques, à en extraire toute leur essence. Le parc Forsyth, le square et la maison Mercer, le Cimetière Bonaventure, le temple Vaudou, le tribunal du comté de Chatham, tout y est imprégné par cet état d’esprit. Savannah devient ainsi un personnage à part entière, les éléments constitutifs de son identité prenant une place importante dans l’intrigue même du film. La maison Mercer, demeure de Jim Williams rassemblant ses collections, en est le point central. Hôtel de la fameuse réception de Noël, prétexte de la venue de John Kelso, mais également lieu du meurtre de Billy Hanson, elle est la face visible du "jardin du bien et du mal". De l’autre côté de la ville se cache dans son ombre le vieux Cimetière de Bonaventure, l’endroit de communion entre les vivants et les morts, ce jardin où se décide l’avenir des citoyens de Savannah.

A ces espaces déterminants, Clint Eastwood a ajouté des détails traditionnels et historiques visant à dépeindre plus précisément l’atmosphère de la ville. Entre Uga IV, le bulldog-mascotte de l’Université de Géorgie - qui se promène fièrement dans les parcs, se laissant prendre en photo aux côtés des habitants - et le bal des débutantes - où jeunes filles noires valsent en douces robes blanches -, Savannah vit paisiblement au rythme des repas mondains réservés aux femmes, des matchs de foot influençant le cours d’un procès, des soirées branchées ouvertes à toute la ville, des pianos-bars cosy; tout ceci sous l’oeil bien veillant d’un chien invisible, d’un homme-mouche et d’une prêtresse vaudou… Bienvenue à Savannah, cette ville fantastique qui ressemble à "Autant en emporte le vent sous mescaline", où les habitants sont tous "soûls et armés jusqu’aux dents", et qui fait passer New York pour une ville fade et ennuyeuse.

POUR COMPRENDRE LES VIVANTS, IL FAUT COMMUNIQUER AVEC LES MORTS

Les personnages participent également à retranscrire cet esprit géorgien. Excentriques, dotés d’un fort accent du sud, ils sont pour la plupart inspirés de personnalités ayant réellement vécues à Savannah. Chacun d’entre eux a son histoire, sa devise ("Je ne vais jamais à l’office le dimanche. Mauvais œil"), son dicton ("Deux larmes dans un fût, tu peux te les foutre au cul"), et sa façon de s’habiller. Ce sont des êtres uniques, faisant partie intégrante d’une ville qui somme toute leur appartient. Au centre: Jim Williams interprété par Kevin Spacey. Antiquaire mondain caché derrière une moustache impeccable, lâchant des authentiques "Sport" à son entourage, il est le point névralgique de la haute société savanienne décadente. A travers ce personnage caractéristique du sud des Etats-Unis, Clint Eastwood trace un thème qui lui est cher, celui de la conséquence des actes de violence. Le crime que commet Jim Williams et le procès qui s’en suit engendreront une lente destruction de son mythe et de sa personne.

Autour de lui, trois personnages féminins se posent comme révélateurs de Savannah au près de John Kelso. Mandy (Alison Eastwood) est le témoignage de la nouvelle génération qui s’est exilée face à la décadence du lieu, mais qui finit par revenir, comme rappelée par l’envoûtant esprit du sud. Lady Chablis - interprétée par la réelle Lady Chablis - apporte un regard complètement différent sur la ville; elle est une sorte de contrepoint de tous les autres habitants. Transsexuelle excentrique et hyperactive, elle bouscule le calme existant. Enfin, Minerva (Irma P. Hall), prêtresse vaudou, apporte sa touche mystique, voire même fantastique à l’intrigue. Elle est le lien entre le passé et le présent, celle qui est censée permettre aux vivants de changer l’influence que les morts ont sur eux. Toutes trois, auxquelles peuvent s’ajouter tous les autres personnages féminins du film, sont l’incarnation d’une certaine connaissance, comme si les femmes étaient les gardiennes du savoir de Savannah.

Au milieu de toute cette population savanienne nage John Kelso, chroniqueur et auteur yankee. Ce personnage interprété par John Cusack est le seul inventé pour le film. Il remplace la première personne passive du livre et représente en quelque sorte l’auteur John Berendt (ce que souligne la concordance des prénoms). Personnage "eastwoodien" par excellence, il est l’inconnu venu d’ailleurs (en l’occurrence New York, ville emblématique nordiste lors de la guerre de Sécession) essayant de s’intégrer dans un microcosme établi. Son statut de journaliste fait de lui à la fois un témoin, un acteur et un juge-arbitre d’une situation qui lui est peu familière. Etranger à ce nouvel environnement, c’est avec une certaine admiration stupéfaite qu’il en découvre toutes les subtilités, guidé dans ce labyrinthe loufoque et enchanteur par des personnages féminins qui lui proposent des points de vue totalement différents sur la ville et ses habitants.

ET LES ANGES CHANTENT

Pour appuyer ces thèmes et l’atmosphère du sud, Clint Eastwood a développé une mise en scène à la fois calme, posée et énigmatique. Ceci passe tout d’abord par une utilisation particulière de la lumière. Douce, filtrée, elle est savamment étudiée, devenant un élément plastique constitutif de chaque plan. Comme dans la plupart de ses films, elle éclaire en petites touches des parties de corps ou d’éléments, les faisant sortir quelques instants de la pénombre. Le réalisateur s’explique à ce sujet: "Parfois on ne veut qu’une ombre, comme ce qu’a fait Carol Reed dans Le Troisième homme. Avec le jeu des lumières, on ne montre qu’une partie du visage. Le public n’a pas besoin qu’on lui montre tout. Il comble les trous tant que le plan est intéressant. […] Ainsi, on peut développer un film qui invite le spectateur à entrer dans l’intrigue." La lumière devient une partie intégrante de l’action, comme en témoigne en particulier les scènes dans le cimetière de Bonaventure.

Ce travail sur la lumière est complété par une bande originale en totale adéquation avec le sujet. Se voulant à la fois hommage à Johnny Mercer, ancien propriétaire de la maison de Jim Williams à Savannah (Mercer House), et à l’esprit du sud, elle reprend toutes les grandes chansons du compositeur. Les morceaux sont merveilleusement interprétés par certains des comédiens, mais également par des stars de la scène country. La morceau le plus mémorable reste Skylark, interprété par K.D. Lang, qui accompagne l’ouverture du film. Une succession de travellings en apesanteur, se rapprochant de plus en plus des sujets. La caméra survole un champ de blé, slalome entre les arbres, se penche sur la tombe de Johnny Mercer (dont l’épitaphe "And the angel sings" se place en écho de la voix de K.D Land) pour finir par se fixer sur la fameuse Bird Girl Statue, que l’on retrouve sur l’affiche du film et la couverture du livre. Cette séquence offre l’une des meilleures expressions de l’art de Clint Eastwood.

par Julie Anterrieu

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