Zabriskie Point
États-Unis, 1970
De Michaelangelo Antonioni
Scénario : Michaelangelo Antonioni, Tonino Guerra, Clare Peploe, Franco Rosseti, Sam Shepard
Avec : Paul Fix, Mark Frechette, Bill Garaway, Daria Halprin, G.D. Spradlin, Rod Taylor
Photo : Alfio Contini
Durée : 1h50
Un jeune homme assiste aux révoltes estudiantines et politiques: émeutes raciales, combats contre les flics… Après avoir vu un étudiant noir se faire descendre, il s’enfuit. Une jeune fille cherche à s’échapper de son environnement monotone et part en excursion dans le désert. Elle rencontre le jeune homme et ils font un bout de chemin ensemble.
ERRANCE ET CONTESTATION
Plus encore qu’Easy Rider, Zabriskie Point embrasse en un film les bouleversements de la société américaine des années 70 au moment même où ils se déroulent. C’est peu dire si Antonioni est en prise directe avec la réalité de son temps et si son film s’impose d’emblée comme un témoignage sur le pays qu’il filme. Après la Grande-Bretagne de l’époque du swinging London qu’il observait à la loupe du thriller métaphysique dans Blow Up, c’est à l’Amérique qu’il s’attaque, sous la forme du road movie, deux ans après le film de Dennis Hopper, quelques années avant les errances des oeuvres de Wim Wenders. On ne répétera jamais assez que le road movie, genre majeur du cinéma des années 70, n’est autre que le pendant moderne du western, tant il ambitionne de refaire le trajet des pionniers, comme si faire la révolution (marxiste ou autre), c’était aussi reprendre l’histoire des USA aux origines. A ce titre, ce jeune couple formé par deux êtres ne se reconnaissant pas dans les modèles qu’on leur propose et qui vont tout laisser derrière eux pour errer dans le désert, c’est un peu l’espoir de la renaissance d’une autre Amérique. Cette errance hypnotique dans le désert tranche volontairement avec la violence et la froideur urbaine de la première partie qui brosse, sur un mode proche du reportage (la longue scène de l’assemblée générale étudiante, filmée caméra à l’épaule au début du film) le tableau d’une jeunesse qui refuse une société oppressante et dont les élans de révolte sont brutalement réprimés.
REVOLUTION ESTHETIQUE
En ce sens, Antonioni poursuit son "esthétique de la disparition", fondamentale dans le cinéma moderne bien qu’incomprise à l’époque, si on se souvient de l’accueil perplexe réservé à L’Avventura en 1960. Cette volonté d’épure dramatique grâce à laquelle Antonioni expérimente une sorte de mise à nu des procédés de la fiction (voir les vingt dernières minutes de L’Eclipse, où il fait disparaître tous ses personnages, ainsi que la scène de mimétisme qui clôt Blow Up) et va à l’encontre des règles esthétiques d’alors. Il refuse les codes du cinéma hollywoodien classique tout en les ayant parfaitement assimilés (car paradoxalement le fantôme d’Hitchcock et de La Mort aux trousses semble hanter de nombreuses scènes du film), ce qui permet ici de les enrichir d’une dimension théorique et politique. La profonde modernité d’Antonioni, c’est cette totale liberté formelle, ce basculement du collectif et du concret (la dimension "cinéma-vérité") vers l’intime et l’abstrait, proposant au spectateur une véritable expérience de cinéma.
FUCK YOU AMERICA
Avec le recul, l’évocation d’une société vouée à un consumérisme déshumanisé (incarné par le personnage du promoteur interprété par Rod Taylor, l’acteur des Oiseaux d’Hitchcock) s’opposant à une jeunesse déboussolée et révoltée n’est pas dénuée d’un certain schématisme, même si la virulence du discours fut atténuée, un plan montrant une banderole "Fuck You America" disparaissant du montage final. Zabriskie Point est principalement célèbre pour deux grands moments paroxystiques: la scène de l’orgie dans le désert et la séquence finale des explosions. Il est d’ailleurs intéressant de voir que la révolte (qu’elle prenne la forme d’une extase sexuelle ou d’un climax destructeur) n’est exprimée que sous la forme du fantasme et donc sur le mode de l’utopie. Les deux fameuses scènes, où le couple de héros devient les Adam et Ève de l’Amérique moderne, puis celle où la jeune fille imagine une révolution terroriste en une interminable succession de destructions de bâtiments et d’objets du quotidien, filmées au ralenti, sur la musique hallucinée des Pink Floyd (période Syd Barrett, aussi à l’origine d’une autre BO culte, celle du More de Barbet Schroeder) ne constituent pas moins de sidérants moments de pure poésie visuelle, dont la puissance d’évocation laisse pantois. La scène finale de Fight Club, à laquelle on pense a posteriori, paraît d’ailleurs bien pâle en comparaison. Si Bruno Dumont a pillé ce film avec son contestable Twentynine Palms, les dernières œuvres de Gus Van Sant (plus particulièrement Gerry et Elephant), tant par leurs parti-pris formels radicaux que par leur recours à des interprètes non-professionnels, apparaissent comme les dignes descendants de Zabriskie Point.