Voyeur (Le)

Voyeur (Le)
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Voyeur (Le)
Peeping Tom
, 1960
De Michael Powell
Scénario : Leo Marks
Avec : Maxine Audley, Carl Boehm, Anna Massey, Moira Shearer
Photo : Otto Heller
Musique : Brian Easdale
Durée : 1h41

Obsédé par le cinéma depuis que son père lui a offert une caméra pour ses 9 ans, Mark Lewis, jeune homme solitaire et névrosé, trouve son suprême plaisir en assassinant des jeunes femmes et en immortalisant leur terreur et leur agonie sur pellicule.

CINEPHILIE MALADIVE

Film jadis méprisé d’un cinéaste trop longtemps ignoré, Le Voyeur demeure une œuvre marquante qui, quarante ans après sa réalisation, brille par son éclatante modernité. Il est étonnant de voir comment il a pu être oublié, sans doute à l’ombre d’un autre film-matrice parfaitement contemporain, le Psychose d’Hitchcock, sollicité dès sa sortie par le public et la critique. Pourtant, on ne peut s’empêcher en revoyant Peeping Tom d’y voir en germe tout un pan du cinéma d’horreur, une certaine perversité qui anticipe le giallo italien et toute une somme d’interrogations et de réflexions qui allaient devenir centrales dans notre cinéma actuel. Le film de Powell est tout d’abord l’analyse d’un cas de névrose obsessionnelle extrême: chez Mark Lewis, tout passe par l’objectif de sa caméra, au point de se confondre avec son propre regard. Il en résulte une fascination perverse à contempler le sentiment de peur sur le regard des autres, à filmer l’impossible, le visage de la mort. L’audace de Powell, c’est de nous placer du côté du tueur, jouant de manière encore plus radicale qu’un Fritz Lang (dans M Le Maudit en 1931) ou qu’un Richard Fleischer (dans L’Etrangleur de Boston en 1968) sur les sentiments ambigus de terreur ou de compassion que l’on peut avoir pour un tel personnage. La réussite du film, c’est d’arriver à mener cette étude psychologique avec une rigueur absolue sans se plier aux règles des genres cinématographiques qu’il traverse, de l’épouvante au drame sentimental, du fantastique au polar, à la satire même, quant il s’agit d’ironiser sur le monde du cinéma.

L’ŒIL DU CRIME

Mais l’aspect le plus passionnant du Voyeur réside dans l’imbrication entre la forme du film et son sujet: dès le début, par un simple effet de caméra subjective, Powell nous met dans la position de celui qui voit et donc qui filme. Le personnage de Mark Lewis est ainsi d’abord identifié par le biais de son regard: il est regardant avant d’être regardé. Dans la scène d’ouverture, nous le suivons du point de vue de sa caméra jusque dans la chambre d’une prostituée. Le détail amusant de la maquerelle qui nous adresse un petit clin d’œil, puis l’opportunité qui nous est faite de contempler en toute impunité cette jeune femme qui nous offre ses charmes nous rend en fait complice du regard de Mark. Satisfaction libidineuse à laquelle succède bien vite l’horreur du crime, la terreur lue sur le visage de la victime. Position très dérangeante pour le spectateur, mis en face de sa propre tentation voyeuriste érigée ici en un dispositif morbide. L’outil caméra, instrument de jouissance de la pulsion scopique, devient arme du crime. Powell n’évacue pas la dimension érotique des meurtres, ritualisés avec précision, jusque dans le rapport charnel qui unit Mark à sa caméra, excroissance monstrueuse de son regard, évident substitut phallique. Sans elle, il est comme amputé. Le regard de la caméra vampirise tout autant le réel que le regard de celui qui la tient. Là réside la mise en garde de Powell: il faut faire attention à ne pas devenir la victime des images.

UN FILM AMORAL

Michael Powell déclara qu’il voyait dans le scénario de Leo Marks une dimension très romantique. Film d’un cinéaste parlant d’un autre cinéaste, il transpire l’empathie du metteur en scène pour son personnage. Ironiquement, il jouera lui-même le rôle terrible du père de Mark et c’est son propre fils qui incarnera Mark enfant dans l’une des scènes les plus traumatisantes du film, celle où Mark projette à Helen, sa voisine qu’il désire sincèrement, les images de sa propre enfance. "Le Voyeur, c'est surtout le film d'un cinéaste", disait Powell. "Ce qui était shocking pour les critiques anglais, c'est que je voyais le personnage avec un œil innocent, comme ça. Ils voulaient naturellement que je porte un jugement, je m'y refusais. Je crois beaucoup à la distance". L’insuccès du film fut tel qu’il ralentit la carrière de Powell, pourtant marqué par de belles réussites populaire dans des genres très divers, du film de guerre (Colonel Blimp) à la comédie musicale (le sublime The Red Shoes, qui rendait jaloux Arthur Freed lui-même), tous conçus avec son fidèle collaborateur, Emeric Pressburger. A part quelques cas isolés (l’article "Look at the sea" paru dans Positif, l’une des rares critiques élogieuses de l’époque), le cinéma de Powell fut longtemps l’objet d’un inintérêt poli jusqu'à ce que des cinéphiles de bon goût, de Bertrand Tavernier à Martin Scorsese, réhabilitent son œuvre. Scorsese qui déclarait d’ailleurs: "J'ai toujours pensé qu'avec Le Voyeur et de Fellini, tout ce que l'on pouvait dire sur le cinéma était dit".

par Yannick Vély

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