Tygra, la glace et le feu
Fire and Ice
États-Unis, 1982
De Ralph Bakshi
Scénario : Gerry Conway, Frank Frazetta
Avec : Sean Hannon, Elizabeth Lloyd Shaw, Randy Norton, Steve Sandor
Musique : William Kraft
Durée : 1h18
La reine des glaces, Juliana, fait enlever par ses sbires dégénérés Tygra, fille du pacifique roi du feu Jarol. Juliana projette que son fils Nekron épouse la captive, afin de régner sans partage sur toute la planète, qu’elle veut recouvrir de glace. Mais Tygra s’enfuit et rencontre l’amour en la personne du guerrier Larn. Dans sa lutte contre le mal, le couple est aidé par un étrange allié masqué, Darkwolf.
LA GUERRE DU FEU… ET DE LA GLACE
Pour sa troisième incursion dans le monde de l’heroïc fantasy, après Les Sorciers de la guerre (1975) et Le Seigneur des Anneaux (1978), Ralph Bakshi, auteur de films d’animation, s’associe, pour le scénario de Tygra, à Roy Thomas, qui a écrit des aventures pour l’adaptation en bande dessinée de Conan le Barbare. En ce qui concerne le visuel du film, Bakshi travaille avec un illustrateur de génie, Frank Frazetta, habitué de la BD précitée, et dont le talent donne vie à des personnages à la plastique irréprochable, d’un réalisme saisissant. On doit d’ailleurs à Frazetta les magnifiques croquis préparatoires qui jalonnent l’introduction du film. Graphiquement impressionnant, force est d’avouer que Tygra pâtit d’un scénario manichéen, aussi léger que la tenue vestimentaire de l’héroïne. Il s’agit de l’éternelle lutte des forces du bien contre celles du mal. Du côté maléfique (le monde des glaces), la reine Juliana tente de plus en plus difficilement de manipuler son psychopathe de fils, le seigneur Nekron qui, outre le pouvoir de contrôler la glace, peut s’emparer de l’esprit des autres êtres humains, et les animer comme des marionnettes. Une tribu d’hommes-singes sert d’armée à cette charmante famille qui a pour funeste dessein de dominer la planète. Du côté des forces du bien (le monde du feu), se battent la sculpturale Tygra, le guerrier Larn, un croisement entre Tarzan et Rahan, ainsi que le mystérieux Darkwolf, qui tient autant de Conan, pour le maniement de la hache, que de Batman pour sa froide (et providentielle) présence de vengeur masqué.
TYGRA LA PRINCESSE DE FEU
Ralph Bakshi a tiré les leçons de son adaptation en animation du Seigneur des Anneaux, dans laquelle il avait abusé du Rotoscope (une méthode consistant à dessiner par dessus les images filmées d’une personne en mouvement), et où les scènes de décalque de vues réelles s’intégraient difficilement avec celles de dessin animé pur. Ce n’est pas le cas dans Tygra, conçu, lui aussi, avant l’ère de l’assistance par ordinateur, et dans lequel le résultat est homogène et époustouflant de réalisme. La manière dont Tygra se meut est extrêmement convaincante, bien plus que les personnages intégralement en images de synthèse du film Final Fantasy (Hironobu Sakaguchi, 2001), qui ressemblaient à des noyés. Toute aussi troublante est la sensualité de la belle lorsqu’elle prend des poses lascives! Le titre français, Tygra, est trompeur car il se focalise sur le personnage féminin, alors qu’il est surtout question d’une guerre entre les clans du feu et de la glace (Fire and Ice), guerre qui implique autant Larn, Darkwolf que Tygra. Il serait donc bien réducteur d’affirmer que le long-métrage n’a été conçu que pour le plaisir des amateurs de beautés en bikini; si court vêtue qu’elle soit, l’héroïne n’est pas une bimbo décérébrée en détresse. Sans être une guerrière aguerrie comme Red Sonja (personnage inventé par Robert E Howard, créateur de Conan), elle est capable de défendre sa vie sans considérer la violence comme une fin en soi. Une scène très réussie est caractéristique de l’absence de bellicisme chez Tygra: lorsqu’elle se retrouve capturée par Juliana et menée devant Nekron, elle propose son amitié au seigneur de la glace, en l’adjurant de cesser la guerre; celui-ci l’écoute médusé par cette proposition, puis se met à rire de façon démentielle, avant de lui annoncer qu’il crache sur cette offre de paix et de la frapper.
UN CHEF D’ŒUVRE MECONNU
D’une durée assez courte, le dessin-animé n’est alourdi par aucun temps mort, et tous les éléments de référence de l’univers de l’heroïc fantasy s’y trouvent habilement réunis. La magie se taille la part belle, avec la sorcière Roleil qui, tuée par les hommes-singes de Juliana, revient d’entre les morts en l’état de zombie, le temps d’une conversation avec Larn, pour lui indiquer où Tygra a été emmenée. Autre passage mémorable, le frère de Tygra, venu chercher sa sœur, est contrôlé par Nekron, qui le force à tuer ses camarades, avant de se planter sa propre épée dans le ventre! En fait, on ne peut déplorer qu’une vénielle faute de goût vers la fin, lorsqu’une armée des forces du bien s’engouffre dans l’antre de Nekron, en chevauchant des dragons-faucons. Les hommes-singes, en hauteur, se mettent à lancer des pierres sur les assaillants qui, hormis les personnages principaux (Larn et Darkwolf), ont tous la même tête, ce qui donne la fâcheuse impression que c’est toujours le même guerrier qui se prend les pierres dans la figure! A l’instar du Seigneur des Anneaux, Tygra ne connaîtra hélas qu’un succès d’estime. Après dix ans d’interruption sur grand écran, Ralph Bakshi reviendra avec Cool World (1992) qui mélange acteurs réels (Kim basinger, Brad Pitt, Gabriel Byrne) et dessin animé, mais une fois encore, le succès ne sera pas de la partie.
En savoir plus
Bonne nouvelle, le dessin animé Tygra (Fire and Ice, en V.O) existe en DVD zone 2 d’importation anglaise. Mauvaise nouvelle, l’édition est totalement dépourvue de sous-titres ou de bonus. Le film est chapitré et la seule piste audio disponible est l’excellente version originale américaine. Les amateurs de version française apprendront que l’accorte Tygra était doublée par Céline Montsarrat, qui s’est rendue illustre en doublant très souvent Julia Roberts.