Solaris
États-Unis, 2002
De Steven Soderbergh
Scénario : Steven Soderbergh
Avec : George Clooney, Jeremy Davies, Viola Davis, Nicholas St-John, Ulrich Tukur
Durée : 1h34
Sortie : 19/02/2003
Envoyé en mission sur la base spatiale qui gravite autour de la planète Solaris, Kelvin retrouve sa femme, morte sur Terre quelques années auparavant. Est-elle réelle? D’où vient-elle? A-t-elle un rapport avec cette étrange planète qui semble influer sur les habitants de la station?
Il était illusoire de croire qu’avec Solaris, Steven Soderbergh chercherait à révolutionner le monde cloisonné de la science-fiction. Il était même peu probable de voir ce même cinéaste se frotter (full) frontalement au genre, tant celui-ci lui avait été jusqu’à présent étranger. Et, bien que rassurante, la référence constante à 2001, l’odyssée de l’espace, le chef d’œuvre de Stanley Kubrick qui, vingt-cinq ans après sa réalisation, continue de placer les bases même du genre, apparaît finalement comme trompeuse, malgré les quelques éléments communs aux deux films. Car au delà de cette référence anecdotique, Soderbergh semble tenté systématiquement par l’idée de s’éloigner d’un genre qu’il maîtrise mal, par le biais de flash-back véritablement splendides qui le ramènent au cœur même de ce qui peut être considéré comme son meilleur film, Hors d’atteinte. Exit la science-fiction, donc. A ce titre, les dix premières minutes (celles de l’arrivée dans la station spatiale – scène matrice du genre) du métrage laissent augurer du pire. Lourdes, ampoulées, elles donnent l’impression de nombreuses coupes dans les plans, impression renforcée par la durée relativement courte du film. Prenant place dans un décor de science-fiction, Steven Soderbergh apparaît, dans ces quelques scènes, comme à l’image de son personnage joué par George Clooney: pas à sa place, tout simplement. Il peine à instaurer une ambiance basée sur des non-dits et sur l’étrangeté des quelques habitants de la station, et ne réussit pas non plus à faire de la planète Solaris un personnage à part entière. A ce stade du métrage, le scénario se traîne, les acteurs piétinent, le réalisateur patauge.
Vient alors la scène. La plus belle du film, peut-être même la plus pure de toute l’œuvre du cinéaste. Ne serait-ce que pour cette seule scène, Solaris doit être vu. Parce que l’émotion cinéma ne s’est jamais faite aussi grande, aussi profonde sur un écran depuis quelques années. Parce que ces différents axes qui font le cinéma (le montage, le dialogue, les acteurs, la lumière…) n’ont jamais donné un ensemble aussi homogène que dans cette scène. Dans son sommeil, Kelvin (joué par Clooney, dont on ne répètera jamais assez qu’il est capable de grandes choses) revoit le visage de sa femme décédée. Est-ce un rêve? Est-ce la réalité? Est-elle dans cette station ou bien seulement dans ce flash-back qui le hante chaque nuit? En quelques plans d’une beauté absolue, Soderbergh donne une tournure inattendue au film, et le sauve par là même de la banqueroute. Car du statut de ratage complet de la science-fiction, le film passe tout simplement à celui de film expérimental malin. Solaris devient ainsi, passé ses dix premières minutes éprouvantes, une œuvre dans la lignée de Full Frontal ou Schizopolis, dans laquelle le cinéaste tente une introspection de son art à travers le personnage émouvant du clone de la femme. Personnage vide à l’origine, vierge comme pourrait l’être une cassette ou une disquette, elle prend vie peu à peu, acquerrant un passé, une existence au fur et à mesure des souvenirs de Kelvin. Copie imparfaite créée à partir d’une mémoire sélective, elle symbolise à elle seule l’échec conscient de la tentative du film: retranscrire dans un espace différent – celui, froid et impersonnel, de la station - le glamour qui a fait le succès des films de Soderbergh et que l’on retrouve lors des flash-back qui ponctuent le film.
C’est principalement dans cette belle idée que Solaris peut être apprécié et appréhendé. Dans l’histoire émouvante d’un personnage fantoche, qui se cherche une existence, un passé tandis que son créateur (Kelvin? Soderbergh?) se cherche un avenir. Bouleversante, cette femme du nom de Rheya l’est à plus d’un titre. Alors qu’elle se remplit des souvenirs de son mari, elle intègre aussi ses propres échecs, ses propres peurs, sa propre détresse. S’acheminant droit vers la répétition d’un moment initial – que nous ne révèlerons pas -, elle ne peut que se raccrocher à une vie qui n’est pas la sienne, et qui lui est accordée en fonction du bon vouloir et de la mémoire aléatoire de Kelvin. Dans cette métaphore lourde d’un homme à qui une chance est donnée de refaire son passé, Soderbergh réussit à introduire ce personnage fort, qui à lui seul permet au film de se maintenir à un niveau correct. Tout au plus regrettera-t-on que ce récit soit celui d’un échec, ce qui ne laisse rien présager de bon quant à la carrière à venir du réalisateur.
En savoir plus
Ecrit par Stanislaw Lem, le roman Solaris a déjà été adapté à l’écran par le mythique réalisateur russe Andrei Tarkovsky, en 1972, dans un film éponyme. S’attachant plus à décrire une quête métaphysique tournant principalement autour de la planète Solaris, le métrage de plus de 2h30 (soit une heure de plus que la durée du remake) s’éloignait grandement de la vision de Soderbergh.