Les Prédateurs
Hunger (The)
Royaume-Uni, 1983
De Tony Scott
Scénario : James Costigan, Ivan Davis, Michael Thomas
Avec : David Bowie, Catherine Deneuve, Susan Sarandon
Photo : Stephen Goldblatt
Musique : Denny Jaeger, Michel Rubini
Durée : 1h40
Sortie : 13/07/1983
Miriam est une femme-vampire née en Egypte il y a 4000 ans. Elle possède le don de l'immortalité et de la jeunesse. Elle vit,désormais, à New York, avec son compagnon John depuis 300 ans. John est alors frappé d'un processus accéléré de vieillissement. Afin de tenter de le sauver, Miriam rencontre la séduisante Sarah, docteur spécialiste des mécanismes du vieillissement, sur laquelle elle jette son dévolue...
LA REINE DES VAMPIRES
En l'espace de cinq ans, Ridley Scott s'est constitué une belle carte de visite en enquillant Les Duellistes, Alien, le huitième passager et Blade Runner. Tony, le petit frère, travaille alors dans son ombre, et plus particulièrement dans la pub où il forge son style au fil d'une montagne de spots. 1983 sera l'année de son premier long métrage, une adaptation d'un roman horrifique de Whitley Strieber, Les Prédateurs. Le projet se distingue d'abord par un casting aussi insolite que fascinant: Catherine Deneuve, icône mondiale à peine sortie du triomphe du Dernier métro, David Bowie, alors en tête des ventes avec Let's Dance, et une (presque) nouvelle venue, Susan Sarandon, remarquée en petite tenue dans The Rocky Horror Picture Show ou plus habillée chez Louis Malle. Mai 1983: le film est présenté hors compétition, lors d'une séance de minuit, au Festival de Cannes. Bowie, pourtant présent sur la Croisette, ne montera pas les marches, et laissera Deneuve faire seule le boulot, accompagnée de Tony Scott. Le film cumule bide critique et bide commercial. Pourtant, 25 ans après, Les Prédateurs est devenu totalement culte.
Vampire, vous avez dit vampire? Entre cinéma d'avant-garde et motifs classiques, Les Prédateurs revisite tout un pan du musée des vampires pour faire naitre son propre mythe. Miriam n'est pas comme les autres, pas comme John qui dépérit: elle est la reine des vampires, le mère de monstres nés sous ses baisers, une Lilith plongée dans les années 80 et qui, avant ça, a traversé dans un râle l'Egypte ancienne ou d'un soupir le XVIIe. Les Prédateurs ne chassent pas sur les terres du vampire fin-de-siècle à la Stoker, à l'animalité développée, plutôt dans le Romantisme, statue de Miriam édifiée selon le modèle du héros byronien, beauté du diable et démon gothique. Scott fait écho aux vampires lesbiens de Coleridge (Christabel) ou de Sheridan Le Fanu (Carmilla), à Lamia de Keats, belle dame sans merci dont les meurtres sont effectués avec le raffinement d'une Erzsebet Bathory, où les scènes d'amour se lovent dans le mysticisme extatique et sublime du Lakmé de Delibes. Le sang bat dans les veines (voir les inserts de sang au microscope, motif vampirique comme passionnel) et l'histoire n'est que ça, selon un Romantisme qui place le sentiment et la passion au-dessus de tout, au-dessus surtout du rationnalisme et de l'âge nouveau de la révolution industrielle. Du Romantisme du XVIIIe/XIXe jusqu'aux aurores décadentes des années 80 vues par un publicitaire, deux mondes, mais un seul pas entre eux.
C'est dans l'Angleterre victorienne attachée au matérialisme que le fantastique rayonne de ses plus beaux feux. C'est dans les années 80 du fric et du paraître qu'il brûle la pellicule. Les vampires sortent de la nuit comme de ce club hanté par Bauhaus, chantant la mort de Bela Lugosi, tandis que Miriam et John, fringues en vanité taillée par rien moins que Milena Canonero, cherchent leur victime. Quatre ans auparavant, Herzog était revenu à l'essence, vampire en réminiscence de Murnau. Scott déploie tout son attirail pub - quoi de mieux que le racé visuel clip de l'aube des années 80, d'un MTV nouveau-né, pour déplacer le Romantisme et construire le nouveau temple de son lyrisme mystérieux, qui peut bien aller des entrelacs de Deneuve/Sarandon aux vidéos de Bonnie Tyler. Avec Les Prédateurs, Tony Scott en capte l'esthétique définitive, portée aux nues à chaque plan. Autre écho actuel, celui du ravage pandémique. Le vampire du XIVe siècle est celui de la Peste, des épidémies qui ne peuvent être que surnaturelles. Le vampire de 1983 est celui du SIDA, dont on ne dit pas le nom mais le vieillissement incompréhensible de John ne laisse que peu de place au mystère - la Progéria évoquée n'est qu'une brume fantastique. Vampire encore par le renversement sexuel, où la garçonne (Sarah) tombe dans la toile d'un éternel féminin (Miriam), au point que le magazine lesbien Curve devait d'abord s'appeler... Deneuve. Le vampire a toujours été le paradis du champ métaphorique, Scott, dans Les Prédateurs, s'en sert comme d'un emblème de son époque, créant sa propre mythologie à partir de codes séculaires, stryges du New York contemporain, sang au goût de Xérès, ombre dans la cité ou Ankh éternelle au cou, cauchemar baroque et grandiloquent pour un prodige de film plus culte tu meurs.