Nuit du chasseur (La)

Nuit du chasseur (La)
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Nuit du chasseur (La)
The Night of the hunter
, 1955
De Charles Laughton
Scénario : James Agee
Avec : Billy Chapin, Lilian Gish, Sally Jane Bruce, Robert Mitchum, Shelley Winters
Photo : Stanley Cortez
Musique : Walter Schumann
Durée : 1h33

Après un court séjour en prison, Harry Powell part à la recherche du magot que son ex-partenaire de cellule, Ben Harper, a caché. Prenant l'apparence d'un prêcheur fanatique, Powell retrouve la famille de Harper afin de découvrir où a été caché l'argent...

En 1955, le premier et unique film en tant que réalisateur de Charles Laughton est un cinglant échec critique et public. Probablement parce que l'objet filmique en question est trop déroutant, trop hors du temps. Visuellement, Laughton privilégie le décalage: alors que les couleurs sont en vogue, il choisit de tourner en noir et blanc. Avec son chef opérateur, Stanley Cortez (qui a également travaillé sur La Splendeur des Amberson, de Orson Welles), Laughton effectue un travail évoquant l'expressionisme allemand des années 20 ou le cinéma muet de D.W. Griffith. Le réalisateur emploie d'ailleurs l'une de ses stars en la personne de Lillian Gish, alors que celle-ci n'avait plus tourné depuis 7 ans (dans Portrait of Jennie).

La Nuit du Chasseur est marqué par l'excès stylistique: c'est ainsi que Laughton annihile tout idée de réalisme pour mieux pénétrer le rêve (ou le cauchemar) vécu par les enfants. Son film est ainsi peuplé de figures religieuses, de personnages sortis de contes, de grandes ombres et de lumières angéliques. Powell est le croquemitaine, le bogeyman qui est annoncé par son ombre et accompagné d'un thème musical. On apprend rapidement que son habit de prêcheur n'est qu'un déguisement, et que le Diable en personne s'y est dissimulé. En effet, lorsqu'il s'adresse à Dieu, il avoue sans honte ses crimes: "Well now, what's it to be Lord? Another widow? How many has it been? Six? Twelve? I disremember. You say the word, Lord, I'm on my way... You always send me money to go forth and preach your Word. The widow with a little wad of bills hid away in a sugar bowl. Lord, I am tired. Sometimes I wonder if you really understand. Not that You mind the killin's. Yore Book is full of killin's. But there are things you do hate Lord: perfume-smellin' things, lacy things, things with curly hair."

Face à lui, Lillian Gish fait figure à la fois de bonne fée qui recueille les enfants perdus, arguant "It's a hard world for little things", mais aussi d'ange vengeur, qui fait fuir le Malin à la fin du film, et qui dès la première séquence apparait dans les cieux comme un esprit bienveillant. Le film entier repose sur ce type de confrontation entre le Bien et le Mal (voir les célèbres tatouages aux doigts de Powell), Ange et Démon, Blanc et Noir... les plans aériens du début du films donnent l'impression d'une présence religieuse rassurante, sentiment dissipé par la découverte d'un cadavre par un enfant. C'est également ce dont il est question dans La Nuit du Chasseur: l'innocence confrontée à la corruption.

C'est pourquoi la représentation adoptée colle au point de vue des deux enfants, Pearl et John. Il en résulte une atmosphère parfois proche d'un conte de Grimm, notamment dans la célèbre séquence, probablement l'une des plus belles de l'histoire du cinéma, où les deux enfants descendent la rivière au clair de lune, endormis dans une barque, avec en premier plan des animaux de la forêt (une grenouille, deux lapins). La dimension de conte prend ici toute son ampleur: le décor fait faux, mais nous ne sommes plus dans la réalité, nous sommes dans le rêve, l'onirisme béat qui crée une pause dans le récit.

La Nuit du Chasseur est un conte biblique, le merveilleux et la religion étant au coeur du film. Ainsi, la campagne de l'Ohio est un décor féérique pour Pearl et John, la chambre de leur mère est filmée comme une petite chapelle... Dans une veine surréaliste, Laughton réalise un film rare sur l'enfance, traversé par des fulgurances visuelles somptueuses (le plan sous marin de Shelley Winters, la chevelure flottante) et qui, malgré l'accueil indifférent à l'époque, est peut être le premier film culte de l'Histoire. Assez en tout cas pour inspirer des cinéastes aussi différents que Orson Welles, Tim Burton, François Ozon ou Theo Angelopoulos. Laughton n'a signé qu'un film, mais celui-ci est touché par une grâce céleste qui le rend absolument unique.

par Nicolas Bardot

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