Mes voisins les Yamada

Mes voisins les Yamada
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Mes voisins les Yamada
Houhokekyo Tonari no Yamada-kun
Japon, 1999
De Isao Takahata
Scénario : Isao Takahata
Avec : Masako Araki, Toru Masuoka, Chocho Miyako, Tamao Nakamura, Yasuko Tomita, Naomi Uno, Akiko Yano
Musique : Akiko Yano
Durée : 1h44

Le quotidien et les divagations d’une famille presque ordinaire. Takashi le chef de famille, Matsuko la mère au foyer, Noboru le fils aîné en 4ème, Nonoko la cadette en CE2, Shige la grand-mère septuagénaire et Pochi le chien qui n’aboie pas.

VIENS DANS MON COMIC-STRIP

Un croissant de lune, le flanc d’une montagne, quelques hachures. Une main assurée croque un œil, un nez, une bouche et fait apparaître le profil de Shige, la grand-mère étourdie de Mes Voisins les Yamada. C’est Nonoko, la plus jeune et la plus raisonnée, qui escorte la petite famille et semble griffonner elle-même les pages de garde. Le carnet de brouillon se remplit peu à peu, au fil des monologues et des apartés. A mi-chemin entre la gazette effrontée de Kié la petite peste et les chroniques acidulées d’Omohide Poroporo, ce septième long métrage d’Isao Takahata étonne une nouvelle fois par son audace formelle et son parti-pris inédit. Co-produit par Disney (l’accord financier avec le studio Ghibli date de 1996), Mes Voisins les Yamada abandonne les cellulos au profit du numérique. Entièrement assistée par ordinateur, l’animation mime à la perfection le tremblement et la souplesse du crayon, la transparence et les nuances colorées de l’aquarelle et s’autorise même quelques acrobaties en 3D. Adapté du comic-strip d’Hisaichi Ishii, publié dans le très sérieux Asahi Shimbun ("le journal du Soleil-Levant"), le film reproduit la concision et le caractère épisodique d’un genre codifié à l’extrême. Dans l’œuvre originale, quatre cases suffisent à poser une situation et synthétiser une péripétie. A l’instar d’un Snoopy de Charles Schulz ou d’un Garfield de Jim Davis, Mes Voisins les Yamada met en scène des parenthèses poétiques ou absurdes, des bulles insolites de la vie quotidienne. L’enjeu est de taille, le sujet polémique; certains animateurs de Ghibli manifestent leur mécontentement, tant l’entreprise leur paraît risquée et obsolète.

FAMILLE NOMBREUSE FAMILLE HEUREUSE

Soutenu par l’enthousiaste Toshio Suzuki, président du studio et principal instigateur du projet, Isao Takahata injecte au vilain canard éborgné ses propres influences picturales et littéraires. Des haïkus, versets de 17 syllabes, ponctuent les anecdotes et font écho au morcellement de l’intrigue. Des taches d’encre diluées composent une estampe chinoise. Mahler, Mendelsson, Bach, Chopin ou Mozart succèdent à Jay Livingston et Ray Evans (Que sera sera exhumé en version japonaise). Même s’il n’ambitionne pas d’égaler les performances de Princesse Mononoké, Mes Voisins les Yamada déçoit au box-office. Pikachu et ses 300 monstres de poche ont kidnappé tous les spectateurs la même année. Resté fidèle à ses portraits de groupe, Takahata s’approprie une matière dense et indisciplinée, réussit à donner corps à un univers émietté et dame le pion à l’adaptation de Sazae-san, dont le minimalisme et les intrigues (le quotidien cocasse d’une mère féministe et de son proche entourage) annonçaient déjà les Yamada. Phénomène éditorial publié de 1946 à 1974 dans Asahi, le yonkoma ("manga à quatre cases") culte de Machiko Hasegawa est devenu la plus longue sitcom animée du Japon (le premier épisode remonte à la fin des années 70). Mes Voisins les Yamada va plus loin, tord le cou à la paraphrase et à l'illustration littérale; la monotonie du format est constamment subvertie par des digressions oniriques. Les saynètes, laconiques et lacunaires, s’enchaînent à une allure soutenue. Parents et enfants se relaient pour livrer leurs impressions et leurs incertitudes sur un mode humoristique. Les haïku imposent l'évocation des saisons: Takahata restitue une temporalité, malgré la structure alambiquée.

LE TOURBILLON DE LA VIE

Les 18 chapitres épinglent les travers et les ruses de la vie conjugale, donnent la voix aux rituels amoureux (le mariage, la Saint-Valentin), aux défis culinaires (le boeuf Stroganoff, le gingembre qui provoque une amnésie partielle) ou aux fantasmes justiciers (l’irrésistible Masque de lune tenant tête aux motards). Le tableau traditionaliste – un père "salaryman", une mère au foyer – ne résiste pas longtemps aux joyeuses turbulences du couple et aux revendications de part et d’autre. Boulotte et paresseuse, Matsuko fait une piètre fée du logis. L’autorité de Takashi, l'employé de bureau rêveur et peureux, est systématiquement tournée en dérision. Oubliée dans un supermarché, Nonoko, pas plus haute qu'un cartable, attend sagement que ses parents surmenés retrouvent la mémoire. Ado sous pression, Noboru met en doute la maturité et la stabilité du foyer. Takahata peaufine ses jeux d'ombres et de lumières, s'intéresse aux hantises de chaque âge, soigne les ellipses et les correspondances, adoucit les césures et gomme tout superflu. Comme dans Kié la petite peste où les rôles sont redistribués, les enfants prennent en charge les adultes, les regardent piétiner ou cavaler après leur jeunesse insouciante. L'éblouissant prologue condense les principaux jalons du mariage par une jolie métaphore sur l'âge déclinant, le voyage, la décélaration et la vitesse. Le bobsleigh devient tracteur, la barque devient escargot, les enfants naissent entre-temps dans les choux, les pêches et les pousses de bambou. Les duels de télécommande, les leçons de savoir-vivre sur le bouillon, les oublis de parapluie et les flocons de neige snobés rendent d'autant plus attachant cet éternel cafouillis domestique.

par Danielle Chou

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