Malédiction (La)
The Omen
États-Unis, 1976
De Richard Donner
Scénario : David Seltzer
Avec : Gregory Peck, Lee Remick, Harvey Stephens, Patrick Troughton, David Warner, Billie Whitelaw
Musique : Jerry Goldsmith
Durée : 1h46
Katherine Thorn, épouse d'un diplomate américain, perd son enfant à la naissance. Dévasté, son mari Robert lui dissimule la vérité en adoptant un orphelin né le même jour. Ce faisant, il devient l'instrument d'une malédiction ancestrale: l'avènement du Diable, l'Apocalypse.
L'AME FATALE
A l'instant même où Steven Spielberg s'échinait sur un requin mécanique, Richard Donner, alors routier de la télévision, s'attelait à La Malédiction. Sorte de thriller fantastique à tendance psychologique, il serait à la croisée des chemins hollywoodiens, alliant une approche sobre et cérébrale d'un mythe religieux, à une science du spectacle et de la publicité. Pour cette dernière, la Fox dépensa deux fois le budget du film (2,8 millions de dollars), alléchée par les circonstances troublantes qui marquèrent le tournage. Sur le même parcours, pendant deux vols différents, les avions de Gregory Peck et David Seltzer furent frappés par la foudre. De son côté, Richard Donner faillit perdre une jambe en étant coincé par une portière de voiture. Un peu plus tard, l'équipe renonça à utiliser un avion charter à la demande de la compagnie, celle-ci promettant la gratuité de l'appareil si la production patientait le temps d'un vol. L'avion décolla, une nuée d'oiseaux endommagea un moteur, il s'écrasa en bout de piste, glissa et percuta une voiture, tuant tous ses occupants. Il s'agissait de la femme et des deux enfants du pilote. John Richardson, responsable des effets spéciaux, qui avait préparé la célèbre scène de décapitation, eut un accident de voiture, dans lequel sa compagne fût décapitée. Et il y eut d'autres incidents, certains relatés dans les journaux de l'époque. Encouragé par les faits, le studio organisa de nombreuses avant-premières. En sortant de la salle, les spectateurs pouvaient lire sur de grands panneaux la date du jour: le 06/06/1976. Une autre prédiction de ce qui serait trente ans plus tard notre quotidien de cinéphile.
SUPERMAL, LE FILM
Sobre et économe, La Malédiction est en contradiction totale avec ces agressions publicitaires. Ce qui fait sa réussite, c'est l'équilibre constant entre le fantastique et le réalisme. Le film tient la posture qui définit le fantastique en tant que genre littéraire: il ne s'agit pas d'obtenir une réponse quant à ce qui a lieu, mais bien de douter, et seulement de douter. Damien est-il vraiment le fils du Diable? Ceux qui tentent de le savoir sont-ils assassinés par une volonté diabolique? Là est le talent de Richard Donner, entre représentation et suggestion. De l'art cinématographique? Peut-être pas, mais un sens certain du produit à une période où Hollywood s'oriente franchement vers le blockbuster. Des décors naturels, un éclairage réaliste, minimisant les artifices, pour mieux choquer le spectateur quand les morts surviennent. Si l'on nous explique rapidement qu'elles sont annoncées, ces morts restent spectaculaires, leur caractère outrancier chamboulant un cadre que l'on avait cru posé. A l'instar des personnages principaux, qui s'en tiennent aux coïncidences, nous sommes poussés toujours plus loin dans l'horreur et le doute, pour finalement y rester. Damien survit, un fait inquiétant s'il est bien celui que l'on croit, seulement le spectateur n'en est pas certain. Il reste effrayé et intrigué, ce qui tombe bien, puisque La Malédiction rapporte 60 millions de dollars aux Etats-Unis. L'air de rien, Richard Donner a lancé une trilogie, et signé accessoirement le meilleur épisode.
LE CULTE DE LA CRYPTE
La Malédiction, c'est avant tout une iconographie: rottweilers acharnés, nounou possédée, pendaison d'anniversaire et décapitation horizontale (Terry Pratchett et Neil Gaiman la reprendront largement dans l'excellent De bons présages). Cette puissance graphique s'accompagne d'une évocation sonore exceptionnelle, déterminée en grande partie par l'excellente bande originale de Jerry Goldsmith. Grâce au soutien du réalisateur, qui négocia son engagement auprès des producteurs, il eut la liberté d'écrire une musique symphonique flirtant avec l'expérimental (neuf ans après La Planète des singes), alliant chants grégoriens, violons romantiques, soupirs et grognements. La Malédiction reste aujourd'hui l'une de ses meilleures compositions et le seul Oscar de sa très longue carrière. Et puis, plus généralement, il y a la simple satisfaction de voir le Mal l'emporter, les gentils punis, parce que c'est écrit, parce qu'il le faut. Les théories fumeuses développées plus haut ne résistent pas aux fantasmes sadiques du spectateur: de nombreux réalisateurs (dont ceux de Destination finale) ne l'oublieront pas. Là, dans l'ombre de nombreux films de genre, La Malédiction a réellement sa place, parce qu'il a œuvré pour la pérennité du fantastique à Hollywood, et parce que Richard Donner put ensuite réaliser Superman, son chef d'œuvre.