Le Mans 66
Ford v Ferrari
États-Unis, 2019
De James Mangold
Scénario : Jez Butterworth, John-Henry Butterworth, Jason Keller
Avec : Christian Bale, Matt Damon, Josh Lucas
Photo : Phedon Papamichael
Musique : Marco Beltrami, Buck Sanders
Durée : 2h32
Sortie : 13/11/2019
Basé sur une histoire vraie, le film suit une équipe d'excentriques ingénieurs américains menés par le visionnaire Carroll Shelby et son pilote britannique Ken Miles, qui sont envoyés par Henry Ford II pour construire à partir de rien une nouvelle automobile qui doit détrôner la Ferrari à la compétition du Mans de 1966.
3H10 POUR LE MANS
Si l'on devait faire simple, on dirait que James Mangold est l'un de ces derniers cinéastes à faire du cinéma old school. Du cinéma de papa, diront les mauvaises langues. Mais c'est aussi finalement une marque de personnalité de la part d'un réalisateur qui a touché à beaucoup de genres, même si ses genres de prédilection sont évidents. En effet, ses meilleurs films sont tous des westerns, qu'ils se passent juste après la Guerre de Sécession, en 1997 ou dans un futur avec des mutants. On peut le tordre dans tous les sens, Le Mans 66 ne rentre pas dans cette case et pourtant, le film de l'auteur dont il est le plus proche est son seul vrai western à proprement parler : 3h10 pour Yuma. Si le genre sied si bien au cinéaste, c'est notamment parce qu'il lui permet de traiter de ce qui semble être une thématique chère à ses yeux à savoir une certaine idée de la masculinité. Qu'il s'agisse de Freddy Heflin, le shérif sourd de Copland, interprété par une ancienne icône burnée désormais bedonnante, qui doit s'imposer auprès des flics corrompus qui gouvernent sa ville, ou de Wolverine, dont il ne cesse d'amoindrir les pouvoirs dans ses deux films, Mangold aime poser un regard sur ce mâle-être afin de mieux redorer le blason de ses héros. Précisons qu'il ne le fait jamais dans un élan macho. L'une des meilleures idées de Night and Day, avant que le film ne vire au plus conventionnel, est d'adopter le point de vue du personnage féminin, montrant ainsi le super agent secret joué par Tom Cruise comme une sorte de malade mental. Ce qui intéresse Mangold avant tout, c'est la notion d'intégrité et son film de course automobile est une nouvelle manière de l'explorer.
Dans Kate & Leopold déjà, Hugh Jackman l'incarnait bien en lord venu du passé, donc authentique, qui refusait de mentir pour les besoins d'une pub. Cette idée parcourait 3h10 pour Yuma, habité par deux antagonistes, dont un vétéran handicapé, qui apprenaient à se connaître et à s'apprécier au cours de leur périple, l'un escortant l'autre jusqu'à un train pour le rendre aux autorités. C'est cette même amitié aussi improbable que séduisante qui anime Le Mans 66, bien que le partenariat soit cette fois d'un commun accord. D'un côté, Carroll Shelby, pilote automobile interdit de course pour raisons cardiaques et devenu vendeur de voitures, et de l'autre, Ken Miles, vétéran (encore) britannique au caractère bien trempé, mécanicien de profession mais pilote hors pair. Deux hommes amoindris qui devront, ensemble, accoucher d'une voiture capable de battre Ferrari au 24 heures du Mans pour le compte de Ford, dont le patron vient d'être ridiculisé par le constructeur italien.
D'emblée, Mangold oppose à l'ego de mec blessé d'Henry Ford II et ses motivations cupides la pureté du travail de Shelby et Miles. Pour une fois, le titre français du film, aussi vague soit-il, paraît plus approprié que le titre original, Ford v Ferrari. Déjà parce que la firme au cheval noir n'est qu'un second rôle presque anonyme mais surtout parce que le véritable ennemi se trouve chez les bureaucrates dans le camp même des protagonistes. Contrairement à ce que laisse penser le premier acte, il ne s'agit donc pas d'un film à la gloire des américains et comment ils ont battu les champions sur leur terrain mais plutôt d'un hommage à la noblesse des passionnés qui font le travail, se foutant des considérations commerciales telles que le marketing et les recettes. Difficile de ne pas y voir une allégorie des studios qui embauchent de fortes personnalités pour mener un projet à terme mais ne cessent de leur mettre des bâtons dans les roues et ne font tout ça que pour l'argent.
Pour Mangold, Shelby et Miles sont des artistes, comme lui, et Le Mans 66 raconte comment ces deux individualistes se reconstruisent et se redéfinissent par le biais de leur passion mais également au contact l'un de l'autre, découvrent qu'ils ne doivent avoir de loyauté que l'un envers l'autre. À ce titre, la fin réussit même à être poignante, notamment par le biais de la mise en scène, Mangold prenant régulièrement le temps de montrer les personnages changer dans un simple gros plan qu'il laisse durer, que ce soit Shelby gobant des médocs dans sa voiture mais ne revenant à la vie que lorsqu'il fait vrombir le moteur ou bien Miles acceptant enfin, en pleine course, d'avoir l'esprit d'équipe. Et le reste du temps, Mangold n'en perd pas, conférant à ses 2h32 de film un rythme enlevé, même en dehors des scènes de courses, menées tambour battant.