Le Dernier duel

Le Dernier duel
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Le Dernier duel
The Last Duel
États-Unis, 2021
De Ridley Scott
Scénario : Ben Affleck, Matt Damon, Nicole Holofcener
Avec : Ben Affleck, Jodie Comer, Matt Damon, Adam Driver
Photo : Dariusz Wolski
Musique : Harry Gregson-Williams
Durée : 2h33
Sortie : 13/10/2021
Note FilmDeCulte : *****-
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Basé sur des événements réels, le film dévoile d’anciennes hypothèses sur le dernier duel judiciaire connu en France - également nommé « Jugement de Dieu » - entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés. Carrouges est un chevalier respecté, connu pour sa bravoure et son habileté sur le champ de bataille. Le Gris est un écuyer normand dont l'intelligence et l'éloquence font de lui l'un des nobles les plus admirés de la cour. Lorsque Marguerite, la femme de Carrouges, est violemment agressée par Le Gris - une accusation que ce dernier récuse - elle refuse de garder le silence, n’hésitant pas à dénoncer son agresseur et à s’imposer dans un acte de bravoure et de défi qui met sa vie en danger. L'épreuve de combat qui s'ensuit - un éprouvant duel à mort - place la destinée de chacun d’eux entre les mains de Dieu.

THE PROPERTY OF A LADY

Au premier coup d’œil, Le Dernier duel semble être un retour de Ridley Scott dans un genre où il excelle, lui permettant une nouvelle fois de mettre en scène l'ascension d'un héros au gré de batailles sanglantes à l'épée, mais il n'en est rien. En réalité, ce nouvel opus du réalisateur s'impose presque comme l'anti-Gladiator. Tandis que ce dernier suivait le cheminement classique d'un homme qui allait chercher et trouver sa vengeance dans la violence, Le Dernier duel présente la déconstruction de ce cheminement, la déconstruction de l'égo masculin où la femme devient littéralement une commodité (le viol étant vu non pas comme une agression sexuelle sur la femme mais une prise illégale de la propriété de l'homme), une idée que l'on trouvait déjà dans Tout l'argent du monde. Ceux-là même qui trouvent comme principal défaut au dernier James Bond celui, inexistant, d'être devenu "woke" crieront sans doute bêtement aux ravages du mouvement #MeToo mais ce serait vite oublier que le tout premier long métrage de Scott, auquel le titre de son dernier renvoie d'ailleurs, cinglait déjà les excès d'une masculinité guidée par la "vertu" de l'honneur.

Si le film commence par un flash-forward aguichant le spectateur sur le duel en question, il a tôt fait de revenir en arrière pour montrer où se jouent réellement les enjeux, loin de l'arène mais dans la vie de tous les jours. Le véritable confrontation étant celle des points de vue. En effet, le récit s'inspire ni plus ni moins de l'illustre Rashomon, montrant tour à tour certains des mêmes événements mais vus par les trois différents protagonistes : le mari, le supposé violeur et la victime. S'il y a trois points de vue, c'est aussi parce que les hommes se considèrent comme les réelles victimes dans cette affaire. Et c'est en refusant toute ambigüité que le film construit son propos : il n'est nul besoin d'embrouiller quelque vérité dans un monde où, comme on nous le dit, "il n'y a pas de justice, il n'y a que le pouvoir des hommes". L'intelligence de l'écriture et de la mise en scène est de laisser les personnages se raconter comme l'auraient fait des individus de l'époque, avec leur boussole morale, sans avoir à forcer le trait sur leur caractérisation ou à faire varier grandement les versions, et de laisser le spectateur seul juge. Ce sont les racines, déjà bien ancrées, de la culture du viol qui sont exposées ici. Ces hommes s'estiment dans leur droit. L'un est noble et estime que tout lui est dû, l'autre a des origines plus humbles mais son ascension sociale a fait de lui un privilégié comme l'autre.

Les nuances qui apparaissent dans les scènes communes aux trois versions sont donc minimes et servent finalement non pas à confronter les divergences sur les faits mais plutôt à montrer comment chacun se perçoit. Les différents points de vue portent moins sur les faits que sur les individus. En adoptant tout d'abord celui des hommes, le scénario les laisse se présenter comme les héros de leur propre histoire. Avec sa coupe mulet médiévale, Damon incarne un soldat dont l'apparence laide révèle le caractère, un homme balafré par le devoir et avec une chance digne de Job, qui attend alors compensation en retour. En face, le fringant Adam Driver campe un écuyer aussi rusé que séduisant qui a tôt fait de s'acoquiner avec le comte Pierre d'Alençon campé par un Ben Affleck péroxydé à la prestation YOLO réjouissante. De ce dernier, on pourrait presque dire qu'il est dans son propre film mais sa caractérisation est justement cohérente avec la façon dont Scott a l'habitude de dépeindre le pouvoir et la royauté : immature et immorale. D'Alençon et le roi Charles VI ne sont pas si loin du Commode de Gladiator ou du Prince Jean dans Robin des Bois.

Et Dame Marguerite d'être à la merci de tous ces hommes, son destin restant sans cesse hors de ses mains. Lorsque le duel arrive enfin, il pourrait sembler hors sujet, pour ne pas dire vulgaire. Après plus de deux heures de drame, le film se conclut avec un climax d'action d'un réalisateur de 80 ans en grande forme mais est-ce à propos? Justement oui, c'est la triste conclusion du récit. Alors même qu'il en va du viol et de la vie d'une femme, in fine, l'affaire en revient à ce qu'elle était depuis le début pour ces hommes et à nos yeux : un concours de bites. De temps en temps, un plan montre la réaction, furtive, invisible, d'un autre personnage féminin, secondaire, sur ce qui se passe, et ces brefs aperçus sont lourds de sens. Mais Scott avait annoncé la couleur dès le premier plan, avec une image qui pourrait servir de profession de foi au film : on habille la Dame Marguerite au même titre que l'on enfile l'armure des futurs duellistes, les deux actions montées en parallèle, et si au Moyen-Âge les femmes n'avaient que leurs robes pour se parer, elles n'étaient pas moins dans un état de guerre constant. Le vrai duel qui se joue dans ce film, c'est celui d'une femme contre la patriarcat. Malheureusement, celui-là était loin d'être le dernier.

par Robert Hospyan

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