Le Lauréat
The Graduate
États-Unis, 1967
De Mike Nichols
Scénario : Buck Henry, Calder Willingham
Avec : Anne Bancroft, Dustin Hoffman, Katharine Ross
Photo : Robert Surtees
Musique : Dave Grusin, Paul Simon
Durée : 1h45
Fraîchement diplômé et focalisé sur son avenir, Benjamin rentre chez ses parents. Mais à la soirée organisée en son honneur, il se laisse séduire par la femme de l'associé de son père, Mrs. Robinson.
MACADAM BOY TOY
Les enfants du baby-boom sont de jeunes adultes, auxquels on a transmis les valeurs d'une société patriarcale et machiste. Benjamin Braddock suit une voie toute tracée: brillantes études, activités et rôles officiels divers à l'université, sage et propre sur lui, à l'écart de la foule qui s'agite, il a tout du gendre idéal. Mais c'est un amant qu'il deviendra. L'amant d'une femme mariée, amie de ses parents, et plus vieille que lui (en réalité, Anne Bancroft n'a que six ans de plus que Dustin Hoffman, qui joue les jeunes premiers alors qu'il a 30 ans). La révolution sexuelle est en marche, les tabous tombent, l'adultère ne sera bientôt plus un crime, le divorce se banalise… Mike Nichols n'en est pourtant qu'à son second film et récolte déjà plusieurs récompenses (dont plusieurs Oscars), celles pour lesquelles son précédent et donc premier film, Qui a peur de Virginia Woolf?, avait été nommé. Des débuts fulgurants, suivis par une carrière en dents de scie.
WELCOME TO THE JUNGLE
La provocatrice, c'est Mrs. Robinson, que Ben n'appellera jamais autrement, entretenant leur rapport si particulier, leur fantasme devenu réalité. Névrosée, alcoolique mondaine, sensuelle, elle se drape des atours de la sexualité bestiale, primitive: ses vêtements sont, à tour de rôle, des imprimés zèbre, girafe ou léopard… Libérée, elle ne cherche qu'à assouvir ses besoins sexuels avec le jeune homme qu'elle a asservi, tandis que celui-ci souhaiterait une histoire d'amour. Il trouvera cet amour en la personne d'Elaine, la propre fille de sa maîtresse. Look de sage étudiante et grands yeux de biche, Elaine est une proie innocente, que Ben gardera intacte. Mais tout s'arrêtera quand elle découvrira la vérité. Fou de douleur, essayant de la reconquérir, il n'y parviendra qu'à la toute fin, l'enlevant de l'église où elle vient juste de se marier. Ainsi, il devient de nouveau l'amant, rompant une seconde fois les "liens sacrés du mariage", institution en branle à l'aube des années 70; brisant aussi définitivement le moule dans lequel voulaient le faire entrer ses parents (voir la métaphore de la scène en combinaison de plongée).
SUEURS FROIDES
La caméra de Mike Nichols retranscrit à la perfection ce que ressent à chaque moment Benjamin, abusant de gros plans, pénétrant la sphère de l'intime, de travellings vifs rappelant les westerns et de cadres légèrement décadrés – mais toujours savamment composés – suivants des lignes géométriques (le Bay Bridge, le couloir de l'hôtel, l'église moderne…). Le spectateur nage à son tour dans la confusion du héros, sentant presque le rythme de son cœur s'accélérer. Dustin Hoffman, alors inconnu, crève l'écran, jouant aussi bien le jeune homme timide que le fils nonchalant ou l'amant obsessionnel, la tension allant crescendo. Avec ses lunettes noires, il sert de modèle seize ans plus tard à Tom Cruise dans Risky Business. Le film même fait référence, la femme mûre (mais bien conservée) devenant un fantasme absolu pour les jeunes hommes inexpérimentés, et vice-versa: du Secret de mon succès à Girl Next Door en passant par l'hommage le temps d'une scène de American Pie, qui reprend les notes de la célèbre chanson Mrs. Robinson, elle aussi culte, tous développent cette liaison où la femme prend le pouvoir. Serait-ce un message?