Eraserhead

Eraserhead
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Dans une ville sombre et oppressante, Henry mène une vie routinière quand il reçoit un jour une invitation à dîner des parents de Mary, son ex-petite amie. Celle-ci a mis au monde leur bébé, un petit être difforme, et un mariage est arrangé. Ne supportant plus les pleurs incessants de sa progéniture, Mary quitte le domicile conjugal. Henry se retrouve père célibataire et s’échappe de son triste quotidien, réglé par les cris du bébé, en trouvant refuge dans un monde parallèle où vit la dame du radiateur.

UNE VRAIE HISTOIRE

En 1965, David Lynch déménage dans un quartier industriel de la ville de Philadelphie. Le scénario d’Eraserhead trouve son origine au travers de son expérience dans cette ville qu’il qualifie "d’étrange, bizarre, à mi-chemin entre le rêve et la réalité". Il sème déjà les graines dans ses courts métrages et le 29 mai 1972 commence le tournage de ce premier long, qui va s’étaler sur cinq années. Le film, qui est une réécriture du projet Garden Back, devait à l’originer durer 42 minutes mais de nouvelles idées viennent jour après jour s’ajouter aux vingt pages du script originel. L’équipe n’a jamais dépassé plus de dix personnes, les cinq acteurs principaux inclus, et ses membres devaient ainsi se montrer très polyvalents. Au printemps 73, l’Institut du Film Américain, principal producteur du film, demande à voir des images et David Lynch leur montre la scène du dîner chez les parents de Mary. La suite ne se fait pas attendre et les producteurs se retirent du projet. Le tournage se poursuit tant bien que mal et doit être régulièrement interrompu. Afin de trouver des fonds, et pour pouvoir continuer son œuvre la journée, le réalisateur vendra le Wall Street Journal la nuit. En mai 74 le tournage reprend et le film sera achevé début 75. David Lynch voulait le présenter à l’édition cannoise de 1976 mais c’est finalement le 19 mars 1977 que le film aura sa première à Los Angeles. La version d’une heure cinquante provoque quelques bonnes réactions mais la plupart sont négatives. Lynch décide alors de raccourcir son chef-d’oeuvre de vingt minutes. Il sera distribué dans deux salles underground de New York et restera quatre ans à l’affiche. Le film arrive en France en 1980 sous le titre Tête à effacer avant d’être rebaptisé Labyrinth Man pour des raisons marketing, en référence à la sortie d'Elephant Man la même année. Son titre restera par la suite Eraserhead.

YOU’RE IN VERY BAD TROUBLE IF YOU DON’T COOPERATE

Derrière une histoire somme toute simple, celle d’un homme dépassé par les événements qui se réfugie dans un monde imaginaire avant de commettre l’irréparable, David Lynch a dissimulé une multitude de sous-couches qu’il donne en patûre au spectateur, le laissant maître de toute interprétation. Son film n’est pas à comprendre mais à ressentir, et chacun est libre d’y discerner les reflets qu’il désire. Ainsi est-ce que l’entièreté du film ne serait pas un seul et même rêve d’Henry dans lequel se mêlent des peurs inconscientes telles celle de la paternité, des tabous de la religion (sexe hors mariage, adultère, meurtre) ou encore un désir d’émancipation? De plus, Henry et Mary sont les seuls personnages avec une identité, la famille de la belle, qu’il n’a sûrement jamais rencontré, s’appelle X, Henry semble être constamment en vacances, et à cela s’ajoute l’extrème difformité du bébé. En outre, le réalisateur lance-t-il un appel à reconsidérer les relations humaines? Henry vit dans un monde où la communication n’existe plus (le film comporte environ trois cent répliques) et dans lequel la seule solution aux problèmes se trouve dans un univers imaginaire. Le dîner chez les beaux-parents, qui ressemble plus à un interrogatoire, en est un bel exemple et la grand-mère prostrée dans son fauteuil est le reflet du futur qui les attend tous, sec. Le présent est aseptisé, les sentiments aux abonnés absents. Le père de Mary ne pense qu’au dîner qui refroidit alors que l’avenir de sa fille se joue, et quand la voisine, s’invitant chez Henry, lui demande où est sa femme, lui de répondre qu’elle doit être repartie chez ses parents. Nous vivons les uns avec les autres, mais qui se soucie de qui?

Lynch critiquerait-il également l’industrialisation qui, avec la mécanisation, utilise les hommes et transforme littéralement leur cerveau en matière première? Ces hommes qui survivent sur une planète sacrifiée: Henry vit dans un monde post-apocalyptique (sur l'un des murs de sa chambre est accrochée une photo de champignon atomique) dans lequel il fait tout le temps nuit et les orages et autres intempéries, maintenant omniprésents, se font entendre tout au long du film. De plus, la seule forme de nourriture qui reste est synthétique et la nature semble avoir disparu avec le soleil. Le bébé d’Henry étant une victime des radiations qui ont provoqué des mutations, il en va de même pour la femme du radiateur, ce qui équivaudrait à dire que même les rêves, et à travers ce personnage le paradis, sont contaminés. Cette apparition serait-elle l’ange gardien qui va conduire Henry sur le chemin de l’émancipation? Elle représente, en opposition à la famille et au mariage, un idéal, terre de plaisirs partagés, et les dangereux embryons empoisonneurs de vie, elle les écrase avec un sourire complice. Cela dit, Lynch nous rappelle que le chemin est long et semé d’épreuves pour accéder au bonheur surprême. Ainsi quand Henry monte sur la scène où la belle se produit pour la rejoindre, il sera décapité et c’est la tête du bébé qui apparaîtra dans le trou béant lui rappelant que non content de lui faire perdre la tête, c’est encore et toujours lui qui se dresse sur le chemin de son bonheur, ce même bébé qui pleure dès que son père ose s’éloigner de son chevet et semble le narguer depuis sa couche. Le message est clair et le dernier sacrifice désormais inéluctable.

CAUCHEMAR NOIR ET BLANC

De la cryptique introduction au poulet en période de menstruation en passant par la chienne et ses chiots, les spermatozoïdes, ou encore le "bébé", la création est omniprésente, et à travers elle Dieu. Seulement Dieu a maintenant une usine de crayons à papier et règne sur un monde déjà mort où il ne contrôle plus les destinées humaines. Ainsi quand Henry décide de se libérer de sa croix, Dieu, malgré ses efforts, ne peut rien y changer. Happy end pour l’hallucinant cauchemar de Monsieur Lynch dont il a non seulement extrêmement travaillé le fond mais également la forme. Ainsi les images plus noires que blanches, le film se déroulant dans une quasi semi-obscurité, les intérieurs étant seulement éclairés par des lampes, ne sont que le reflet du côté déjà obscur de l’histoire. David Lynch mise sur la seule force de ces images pour expliquer ce qui se passe sur l’écran et les rares dialogues ne sont là que pour accentuer le côté superficiel des relations humaines: "Est-ce qu’il y a du courrier?". Ainsi la dame du radiateur ne parle pas avec Henry, elle lui chante les vérités qu’il a à entendre. Le réalisateur a également distillé tout au long du film des "sons organiques" (dont le traitement a commencé avant le tournage et fut poursuivi en post-production), issus d’expériences et autres accessoires créés spécialement pour l’occasion, qui concourent à donner cette atmosphère indéfinissable et étrange à l’œuvre. Un objet filmique si différent que certains critiques ont à l’époque de sa sortie clamé que sa vision provoquerait des lésions cérébrales. Pourquoi craindre l’inconnu alors qu’il est si enrichissant de se laisser emporter à sa découverte? FilmDeCulte recommande Eraserhead.

par Carine Filloux

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