Dune

Dune
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Dune
États-Unis, 1984
De David Lynch
Scénario : David Lynch d'après le livre de Frank Herbert
Avec : Sting, Francesca Annis, Brad Dourif, José Ferrer, Kyle MacLachlan, Virginia Madsen, Silvana Mangano, Kenneth McMillan, Jürgen Prochnow, Max Von Sydow, Sean Young
Photo : Freddie Francis
Musique : Brian Eno, Toto
Durée : 2h15
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En l’an 10191, les Atréides et les Harkonnen s’affrontent pour la possession de Dune, la planète d’où est extraite l’Epice, qui donne pouvoir et longévité. Seuls deux Atréides survivent à la bataille : Paul, l’héritier du trône, et sa mère. Réfugié chez les Fremens, le peuple caché de Dune, Paul prépare sa vengeance.

TEMPETE DANS UN VERRE DE SABLE

Il est de ces films que l’on appelle maudits. Il en est d’autres que l’on qualifie de mythiques. Dune est un film maudit accouché d’un mythe. A la fois sublime pour l’initié et imbitable pour le profane, il se déchiffre comme une pierre de Rosette qui n’aurait qu’une langue. Mais n’en demeure pas moins fascinant. A la base du projet se trouve le soap-opera inégalé en puissance narrative de Frank Herbert, écrit dans les années 60, et dont les droits sont rapidement acquis par Hollywood. L’heureux ayant-droit, Arthur Jacobs, décédant peu après, le réalisateur Alejandro Jodorowsky convainc Michel Seydoux de les récupérer en fantasmant un casting chimérique : Salvador Dali, Gloria Swanson, Mick Jagger, Orson Welles, Alain Delon et David Carradine, Mike Oldfield et Pink Floyd étant commis à la bande originale. Mais à l’annonce de cette folie pure, les studios claquent vite leur porte à Jodorowky en se passant le mot. Dune dans sa forme d’alors apparaît comme trop européen et pas assez galvanisant pour un public US : le projet est mort-né. Pourtant c’est l’explosion du cinéma science-fiction : 2001 : L’Odyssée de l’espace, La Planète des singes pour les précurseurs, et Soleil vert, L’Age de cristal, La Guerre des étoiles remportent des succès inédits qui représentent un vrai filon. En 1978, le mogul à l’ancienne Dino de Laurentiis acquiert les droits et, dans un élan de courage, missionne Herbert lui–même sur l’adaptation de son œuvre. Or il y a un monde entre le métier d’écrivain et celui de scénariste : l’auteur s’empêtre vite dans sa propre histoire et refuse d'allouer de trop nombreuses coupes dans un univers désormais vénéré, respecté par des millions de fans à travers le monde. Le budget prévisionnel établi à 50 millions $ fait une nouvelle fois reculer les majors sept ans après l’essai de Seydoux. Second point mort.

LE MESSIE EST ARRIVE

C’est Rafaella, fille de Dino, littéralement tombée en adoration devant Eraserhead et Elephant Man du jeune David Lynch, qui va convaincre son paternel de mettre la main sur ce jeune prodige du cinéma estampillé underground. Pari gagné, le pan univers de Dune charme Lynch qui propose un dyptique pour mieux coller à l’histoire des différents tomes. George Lucas ne vient-il pas de lui proposer la direction du Retour du Jedi ? Fi, la pression est trop grande et De Laurentiis semble plus visionnaire que l’auteur de la franchise Star Wars. D’ailleurs, là où LA trilogie référence dans le genre est ludique, adolescente, Lynch ambitionne une œuvre plus mature, qui s’adresse à l’intellect et ouvre la conscience comme l’un des messages clés de la saga : Dune sera l’Epice. Sous sa bannière, il rassemble avec le producteur une équipe presque aussi sublime que celle qu’aurait souhaitée Jodorowsky : José Ferrer, Silvana Mangano, Max Von Sydow, Sting au casting, accompagnés par de petits nouveaux prometteurs comme Kyle McLachlan et Sean Young, et de vrais artistes comme le chef op Freddie Francis, Toto à la musique, Anthony Masters aux décors. Le projet semble plus flamboyant, plus intéressant que jamais. Reste un problème de taille : l’adaptation. Lynch est rapidement perdu entre des impératifs de fluidité narrative et les contraintes d’une durée acceptable. La latitude promise au départ est rapidement sacrifiée et l’histoire, si fascinante soit-elle, se présente en définitive comme une contrainte énorme.

GRAND CORPS MALADE

Pour pallier les trous béants qui ont remplacé d’importants éléments du contexte politique au cœur de la saga, un prologue hypnotique est créé de toutes pièces, comme la rencontre entre le navigateur de la Guilde et l’empereur au début du film. Cet écueil évité, on ne se retrouve pas moins plongé in medias res, presque perdu dans une histoire tout schuss qui n’accorde aucun répit. Chaque scène, chaque phrase du dialogue est porteuse d’indices essentiels, uniques, parfois sibyllins, mais n’est pas Champollion qui veut. D’où cette sensation facilement désagréable pour l’étranger à l’univers herbertien qui se sentira irrémédiablement exclu de la profondeur puissante qui émane de l’ensemble, et ne pourra que picorer çà et là dans les trames les plus larges qui guident le destin des personnages. L’exemple le plus flagrant est l’intégration de Paul Atréides dans le peuple fremen, qui énonce en quelques plans sa découverte de l’Epice, son amour pour la jeune Chani et son éveil de Messie. C’est vrai, n’oublions pas ce subtil jeu de langue – obstacle supplémentaire – qui parsème durant deux heures des gom-jabbar, usul, shai hulud, kwisatz haderach, jactés fort naturellement mais opaques pour qui n’a pas le Larousse d’Arrakis. Intégrité de Lynch de vouloir reproduire de manière fidèle la vision d’Herbert, volonté - aussi – de transmettre les secrets et codes bruts de ce monde. Cette bienveillance fera alors oublier les effets spéciaux découpés au ciseau, les faux raccords multiples et le spectaculaire foiré car peu importe le flacon tant qu’on ait l’ivresse. Et même vieillot, mal-aimé, méprisé et désavoué par son propre réalisateur, Dune n’en demeure pas moins un objet de foi propre à l’obsession.

par Grégory Bringand-Dedrumel

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