Cours, Lola, cours
Lola Rennt
Allemagne, 1998
De Tom Tykwer
Scénario : Tom Tykwer
Avec : Moritz Bleibtreu, Heino Ferch, Herbert Knaup, Joachim Krol, Nina Petri, Armin Rhode
Photo : Frank Griebe
Musique : Reinhold Heil, Tom Tykwer
Durée : 1h15
Lola arrive en retard à son rendez-vous avec Manni. Celui-ci, ne la voyant pas arriver, décide de prendre le métro. Distrait par un clochard et voulant échapper à un contrôle, il oublie un sac en toile avec 100.000 Marks dedans sur son siège. Cet argent appartient à un truand pour lequel Manni est coursier. Truand avec qui il a rendez-vous dans vingt minutes. Ne sachant quoi faire, Manni appelle Lola. Celle-ci lui promet de trouver l’argent. Elle a vingt minutes.
UNE EQUIPE QUI MARCHE
Cours, Lola, cours est le troisième film de Tom Tykwer, celui qui va lui permettre de se faire un nom. En effet, lors de sa sortie en Allemagne, le long métrage fait l’unanimité et obtient très vite le statut de culte. Il ne tardera pas à franchir les frontières et à attirer l’attention dans les nombreux festivals où il sera présenté. La France ne sera pas en reste mais le succès du film se fera plus dans les circuits indépendants et c’est seulement avec la visibilité de ses films suivants que le troisième opus de Tom Tykwer connaîtra un regain d’intérêt et touchera un plus grand public. Lola est sa première collaboration avec son duo de choc Franka Potente, alors compagne du réalisateur, et Moritz Bleibtreu. L’actrice a depuis connu une carrière internationale grâce aux aventures de l’agent Bourne, avec Matt Damon. Moritz Bleibtreu, véritable star en Allemagne, a quant à lui notamment joué dans Munich de Steven Spielberg. Les deux acteurs se retrouvant en cette année 2006 dans les Les Particules élémentaires, film inspiré du roman éponyme de Michel Houellebecq. La dynamique photographie du film est l’œuvre de l’œil de Tom Tykwer, comme il le dit lui-même, le caméraman Frank Griebe. Fidèle parmi les fidèles, celui-ci est de toutes les productions du réalisateur allemand, y compris la dernière, le très attendu Parfum. Enfin il n’est pas inutile de préciser que tous les seconds rôles du film sont tenus par des acteurs allemands confirmés, alors qu’à l’époque les deux têtes d’affiche étaient quasi inconnues, et que la femme aveugle qui aide Manni n’est autre que la maman de l’acteur, Monika Bleibtreu.
LA PREUVE PAR TROIS
Cours, Lola, cours a une structure divisée en trois parties. Trois épisodes au cours desquels Lola va essayer de trouver l’argent pour sauver Manni. A la fin du premier épisode, Lola échoue et arrive trop tard pour empêcher le jeune homme de braquer un supermarché. Elle se retrouve complice et, lors de leur fuite, est abattue par un policier. Allongée sur l’asphalte, blessée à mort, elle refuse cette fin et lance le deuxième épisode. Le spectateur retrouve Lola chez ses parents, alors qu’elle s’élance pour sa folle course contre le temps. Dans cette version, elle rencontre les mêmes personnes mais dans un scénario légèrement modifié. De plus, le spectateur sait que la jeune femme rejoue la scène en espérant une meilleure fin, ainsi, lors de son hold-up de la banque, elle sait enlever la sécurité du pistolet, chose que lui a montré Manni lors du braquage du supermarché. Elle réussit cette fois-ci à récupérer l’argent mais Manni se fait écraser par une ambulance que la jeune femme a retardée. A vouloir manipuler le destin, Lola apprend que ses décisions peuvent avoir des conséquences fatales. A la fin du deuxième scénario, la situation est donc telle que Manni, qui vit ses derniers moments sur l’asphalte, remet les compteurs à zéro. Dans cette troisième version, Lola a de nouveau tenu compte des événements précédemment passés et, dans les escaliers, elle saute au-dessus du jeune homme au chien qui lui avait fait un croche-pied dans le second épisode. Le gardien de la banque lui fait comprendre qu’il l’attendait - c'est la troisième fois que la scène est jouée - et semble ainsi la seule personne avec Lola à prendre conscience de cette répétition. Cette fois-ci le scénario est idéal. Une intervention divine lui montre que le destin se jouera au casino: le nombre 20, qui représente aussi les minutes restant à vivre à Manni avant la rencontre avec le truand, lui permet de rafler la mise deux fois. Lola a l’argent mais ne sait pas qu’entre-temps Manni a retrouvé le clochard et ainsi les 100.000 Marks. Tout est donc bien qui finit bien pour le jeune couple. A moins que la première version ne soit la bonne et que la seconde ressemble à une vaine tentative de Lola de changer le destin avant de mourir, sinon comment expliquer qu’elle ait pris des enseignements de la première version? La troisième, à l’origine de Manni, serait alors en fait une dernière esquisse de Lola mourante. En effet, celle-ci est de loin la plus improbable et fait intervenir des éléments divins qu’il n’est pas superflu de lier avec la mort imminente de l’héroïne.
L’ANGE ROUGE
A l’origine du film, Tom Tykwer avait une image en tête. Celle d’une jeune femme aux cheveux rouges qui court pour sauver la vie de son amant. Cette jeune fille aux cheveux rouges, c’est Lola. Un mélange de L’Ange bleu incarné par Marlène Dietrich, le nom de son personnage dans le film étant Lola-Lola, et de Lara Croft. En effet, la jeune femme est une sorte d’ange protecteur qui va tout mettre en œuvre pour sauver Manni, même si elle doit mourir pour cela. Au cours du film, elle sauvera aussi la vie du gardien de la banque où travaille son père en rétablissant son rythme cardiaque alors qu’il est transporté en ambulance vers l’hôpital le plus proche. Lola est à la fois une romantique qui pense que l’amour peut venir à bout de tous les obstacles, et elle incarne aussi la force. Elle est le roc sur lequel le chaotique Manni peut se reposer et c’est elle qui prend les rênes de la situation quand, à bout de nerfs, il l’appelle. Elle garde la tête froide pour analyser la situation avant d’agir et ne se laisse pas dépasser par les événements. Lola c’est aussi l’énergie à l’état pur. Sa chevelure rouge symbolisant à la fois son amour pour Manni mais aussi le feu de l’énergie qui court dans ses veines; Lola court inlassablement, nourrie par ce feu intérieur. Cette formidable énergie la rapproche de l’héroïne de jeux vidéo Lara Croft. Lola court encore et toujours sans se fatiguer, ne se laisse démonter par aucun contretemps, analyse, agit, sans reprendre son souffle dans un tempo d’enfer. De plus, avec ses Doc Martens, son pantalon vert et son débardeur, son style n’est pas sans rappeler celui de la célèbre aventurière et les nombreuses séquences de dessin animé qui rythment le film renforcent un peu plus le parallèle entre les deux femmes. Avec Lola, Tom Tykwer a inventé une héroïne d’un nouveau genre, ce n’est plus l’homme qui va sauver sa dulcinée mais un petit bout de femme combinant féminité et détermination qui va remuer ciel et terre pour l’homme de sa vie.
LES TEMPS MODERNES
Non content de révolutionner l’échange des rôles avec sa super woman, Tom Tykwer décide aussi de s’attaquer à la manière dont il va raconter son histoire. Il commence son tour de force dès le générique, gros plan sur une horloge ancienne et tic-tac en fond sonore. Référence au passé et au temps qui continue de s’écouler et qui est ici compté. Top chrono. Puis la caméra est au milieu d’une foule floue parmi laquelle plusieurs personnages du film à venir se détachent les uns après les autres. Le dernier étant le gardien de la banque qui envoie un ballon vers le ciel en regardant la caméra et déclarant "Après le jeu est avant le jeu". La caméra suit le ballon et la foule se divise pour former en lettres humaines le titre du film. Chez Tykwer, les acteurs regardent la caméra, le découpage particulier du film est annoncé avec la citation et les effets spéciaux font leur apparition. Révolu le passé représenté par la vieille horloge, le nouveau cinéma arrive. En effet, le réalisateur poursuit son générique avec la version animée de Lola qui court et bouscule tout sur son passage puis il présente son casting avec des photomatons. Le générique de fin se déroule lui du haut de l’écran vers le bas, innovant jusqu’au bout Monsieur Tykwer. Le début du film est digne d’un clip vidéo: montage ultra rapide, pulsations de musique techno et caméra qui tourbillonne. Lola ne court pas encore mais le rythme lui est déjà effréné. Tom Tykwer alterne les formats de prises de vues. En effet, quand il suit Lola et Manni au 35 mm, les personnages secondaires sont eux filmés en vidéo. Par contre quand Lola se retrouve confrontée aux personnages secondaires, le plan passe au format vidéo sans que la position de la caméra n’ait changé. De plus, les scènes de flash-back sont en noir et blanc, et le réalisateur utilise même le flash-forward dans la mesure où une copie animée du croupier, qui apparaîtra dans le dernier épisode du film, est montrée au début du film pour lancer le premier épisode:Rien ne va plus. Le film est parsemé des séquences animées de Lola et Tom Tykwer a la bonne idée de présenter le futur des personnages secondaires croisés par Lola à travers une suite rapide d’instantanés, évidemment différents pour chaque épisode. Last but not least, l’écran découpé. Brian de Palma l’a inventé, Tom Tykwer l’innove avec une coupe à la fois horizontale mais aussi verticale, coupant l’écran en trois. Cette multitude de formats renforce le caractère dynamique et unique du film.
BEYOND THE SURFACE
Ce formidable travail apporté à la forme du film s’accompagne également d’une attention particulière au fond et la symbolique n’est pas en reste. La plus frappante est la spirale, celle d’abord formée par la narration du film, ce perpétuel recommencement de l’histoire. La caméra de Frank Griebe est également très mobile et tourne autour de Lola, alors que l’escalier que le personnage animé de Lola dévale a également cette forme. Alors que Manni attend à côté de la cabine téléphonique, le spectateur peut voir derrière lui à la fois le mot 'spirale' sur le mur et la représentation de celle-ci en rouge et blanc. La dernière référence étant la chevelure d’une femme sur un tableau accroché dans le casino: elle est représentée de dos et porte un chignon rappelant la forme d’une spirale. La couleur rouge symbolise l’énergie et l’amour représente également le danger. Ainsi le téléphone par lequel Lola apprend que la vie de Manni est menacée est rouge, tout comme l’ambulance qui plus tard va l’écraser. Le réalisateur allemand fait une référence à Bonnie and Clyde avec le braquage du supermarché et le couple qui s’enfuit, arme au poing, vers une fin tragique. Dans la Grèce antique, l’aveugle incarnait celui qui voit dans le futur. Dans le film cette figure est représentée par une femme qui prête sa carte téléphonique à Manni. Alors que Lola croise le clochard qui a l’argent sans (sa)voir qu’il s’agit de celui-ci, la femme aveugle va prendre la main de Manni, l’obligeant à attendre et ainsi apercevoir le clochard qui passe, lui permettant de récupérer l’argent du truand. Tom Tykwer réussit un film à l’histoire minimaliste qui lui permet de se concentrer sur une forme et un regard uniques. Comme le résume Moritz Bleibtreu, Cours Lola cours est une œuvre à la fois adaptée aux amateurs de films pop-corn avec cela dit une résonance philosophique qui ravira les cinéphiles plus exigeants.