Bronzés (Les)

Bronzés (Les)
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A l'ère des vacances pour tous, un groupe d'amis font connaissance dans un village très Club Med en Afrique. Ils se retrouvent un an après dans une station de ski.

ON SE CALME ET ON BOIT FRAIS SOUS LE SOLEIL

Le Club Med aurait-il pu rêver d'une meilleure publicité pour leur formule? Créé en 1950 par Gérard Blitz, le Club avait pour vocation d'amener des gens ne se connaissant pas à se retrouver sur une île lointaine en vacances et partager les activités proposées sur place. A mesure que l'idée se démocratisait, les milieux et les vacanciers se mélangèrent et se diversifièrent, offrant à chacun la possibilité de se payer une tranche de France exportée, de racines délocalisées. Partant de ce constat, la bande du Splendid a décidé de livrer sa vision de ce melting-pot inopiné. Le point de départ est alors simple: créer les multiples reflets de la France d'alors. Des employés de bureau aux médecins lambda, ils vont se retrouver loin de leur environnement social pour ne vivre que dans le cadre des vacances. Mais l'idée de départ permet surtout de grossir le trait, de caricaturer et d'injecter les pires travers à cette bande de branques beaufs et d'exploiter à fond le créneau. Ce sont donc des silhouettes charpentées par la méchanceté du regard du Splendid qui vont s'ébattrent sous le soleil de la Côte d'Ivoire ou sur les pistes enneigées et déclamer leurs punchlines rosses, de scènes anthologiques en situations scabreuses. C'est en tout cas un portrait peu glorieux mais tordant du Français moyen, l'expatrié des congés payés, que la France découvre en 1978 avec ces Bronzés.

OUBLIE QUE T'AS AUCUNE CHANCE, SUR UN MALENTENDU ÇA PEUT MARCHER

Premier constat: pas un n'échappe à la loupe des auteurs. La charge - sans la moindre arrière-pensée ou prise de position - des Bronzés concerne tout le monde. A commencer par Popeye, le beau gosse sportif GO du Club, tout muscles dehors tendance priapique et cerveau en berne, niqueur né égoïste et macho. Il est incapable de délicatesse et s'effondre dès que sa vraie femme fait ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui fasse - le tromper - tout en se laissant embobiner par les mots enjôleurs d'une femme dont il se fout royalement. Son jeu favori: la pesée de ses conquêtes, comme on pèse le poisson à la pêche au gros. Sur l'autre rive de la même rivière se tient un Jean-Claude Dusse, loser magnifique, qui perd tout ce que gagne Popeye. En incessante conquête du sexe opposé, s'il parvient à conclure, c'est toujours hors champ, d'après ses histoires à dormir debout ou ses mensonges de faux plans cul. Fantasmant d'impossibles rendez-vous, portant bien la perruque pelvienne d'algues ou bien cherchant dans un désespoir provoqué à inciter la sexualité dans un ultime sursaut d'instinct bestial de conservation. Chez lui, la femme est une image floue, mal définie, un Graal ou un moulin à vent jamais là où il l'espérait.

AZUR ! NOS BETES SONT BONDEES D'UN CRI ! JE M'EVEILLE, SONGEANT AU FRUIT NOIR DE L'ANIBE DANS SA CUPULE VERRUQUEUSE ET TRONQUEE

Entre les deux voguent les navires en perdition Bernard et Nathalie, couple dit libre en apparence se cherchant dans la provocation d'aventures à droite ou à gauche, avec Popeye ou toute autre alpha-créature de passage. Leur relation trouve leur équilibre dans Les Bronzés font du ski, en se comportant de la façon odieuse des parvenus, étalant leur argent dans la vulgarité crasse et un goût douteux pour l'art. Sans oublier Gigi et Jérôme, dont le couple s'est créé à la fin du premier volet. Lui, médecin pédant se croyant indispensable et cool, allergique aux bouseux de sa station de ski, persuadé que les généralistes sont méprisés par la profession et marchant à l'autosuffisance. Elle, bimbo superficielle avant l'heure, blonde évaporée, tentée par le coup d'un soir dans la case d'un village vacances mais persuadée de l'existence du prince charmant. Gigi tient par la suite sa crêperie artificiellement huppée à la carte ronflante, dans laquelle elle ne tolére pas les plaisirs simples de la crêpe au sucre tout en servant ses clients mini-chien sous le bras. Un peu à l'écart de la bande, Christiane l'esthéticienne, vieille fille aux coiffures improbables de Joan Crawford, peine à trouver sa place dans la bande de potes dysfonctionnelle. Paraissant plus âgée et plus rangée, incapable de singer la folle jeunesse de ses compères, elle trouvera l'amour dans les bras d'un sexagénaire marié, adepte de la blague de potache pas drôle et du fil dentaire dans la fondue.

JE VAIS TE LE PLANTER LE BATON (ET LE VIN CHAUD)

Phénomène de société, film culte, morceau d'identité du cinéma français, les films de Patrice Leconte tiennent encore la route malgré les kilomètres. Les deux Bronzés font mouche parce qu'ils sont justes et en phase avec la réalité. Ils décrivent l'univers de l'Homo Vacançus avec une acuité grâce à laquelle le spectateur se reconnaît - ce qui les rapproche dans cette justesse du film de Cédric Klapish, L'Auberge espagnole, non pas dans la beaufitude, mais dans l'identification d'une situation, ici les études à l'étranger -, même après presque trente ans pendant lesquels la société a pourtant su évoluer, au minimum sur le plan technique. C'est dans cette constance de la médiocrité proche d'un Molière (dans l'esprit et non dans le verbe) que l'œuvre conserve encore sa pertinence. Que ce soit dans le sable ou la neige, la bande du Splendid déploie sa plume pour débiter ses dialogues cultes au kilomètre, ses scènes mémorables, trop nombreuses pour être énumérées. C'est le triomphe de jeunes auteurs disparates, "amis pour la vie" certainement, talentueux, coupables d'avoir observé une tranche de France au microscope, reconstitué nos âmes que l'on s'évertue à cacher. Et si le second épisode est un ton au-dessus du film original (plus vif et plus mordant), ce n'est finalement qu'une répétition pour leur véritable chef-d'œuvre de drôlerie désespérée réalisé en 1982, Le Père Noël est une ordure. Depuis, la bande s'est vaguement séparée, se retrouvant de temps à autre un peu à la manière des Monty Python, jusqu'à leurs retrouvailles collectives récentes.

par Nicolas Plaire

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