Birth
États-Unis, 2004
De Jonathan Glazer
Scénario : Milo Addica, Jean-Claude Carrière, Jonathan Glazer
Avec : Lauren Bacall, Cameron Bright, Anne Heche, Arliss Howard, Danny Huston, Nicole Kidman, Peter Stormare
Photo : Harris Savides
Musique : Alexandre Desplat
Durée : 1h36
Sortie : 03/11/2004
Il aura fallu des années pour qu'Anna se remette de la mort de son mari Sean. Aujourd'hui, elle est redevenue une femme heureuse, amoureuse. Elle a rencontré Joseph et s'apprête à l'épouser. Tout va pour le mieux, jusqu'à ce qu'elle rencontre un garçon de dix ans qui, par le plus effrayant des mystères, semble se souvenir de tout ce qu'elle et Sean ont vécu....
RENAISSANCE
« Comment vous dire… Si je perdais ma femme, que le lendemain un oiseau se posait sur le rebord de ma fenêtre et me fixait du regard en disant "Sean, c’est moi Anna, je suis revenue"… Que répondrais-je? Je la croirais, je le voudrais. Et je vivrais avec un oiseau ». Première réplique de Birth, étrangement prémonitoire, prononcée par un personnage qu’on ne verra jamais puisqu’il s’agit du mort de l’histoire, le mari que Nicole Kidman va perdre à l’issue de la majestueuse scène d’ouverture. La voix, pas folle, ajoute: « A part ce cas-là non, le cartésien que je suis ne croit pas à ces sornettes ». En quelques secondes, Birth installe à la fois l’absurdité surnaturelle de son postulat autour des réincarnations merveilleuses, et cette volonté tragique de se raccrocher à la moindre chimère pour apaiser la douleur d’un deuil impossible. Mal vendu à sa sortie en salles à partir de son argument saugrenu et volontiers fantastique (une veuve voit resurgir son époux réincarné dans le corps d’un gamin de 10 ans), le film de Jonathan Glazer choisit dès le départ une autre voie. Jean-Claude Carrière, scénariste entre autres de Bunuel, Schlöndorff, Rappeneau ou Oshima et ici à l’œuvre, explique que « la tentative de faire un film irréel, surnaturel, a très vite été écartée. L’intérêt était de trouver une justification à cet amour impossible dans la vie réelle ». Et Carrière d’enchaîner sur le « développement racinien » du récit, qui tient strictement à l’évolution des sentiments qu’entretiennent les personnages l’un pour l’autre, plus qu’à l’action (il ne se « passe » finalement pas grand-chose).
La preuve lors de la première apparition du gamin. Noir complet dans l’appartement, illuminé seulement par les bougies du gâteau que Kidman apporte pour fêter l’anniversaire de la matriarche, Lauren Bacall. L’enfant est là, mais invisible. La caméra, elle, le laisse hors champ et cadre fixement la famille autour de la table. On l’entend se présenter, mais off. Le gamin n’est qu’un moyen, pas une fin. Un révélateur, tandis que la caméra obstinée se concentre sur son vrai sujet. Même chose, plus tard, lorsque Kidman sermonne le garçonnet, puis se rend à l’opéra accompagnée de son futur mari. Le couple entre dans la salle bondée, le spectacle a commencé. On n’en verra pas une seconde, on ne fera que l’entendre, Glazer filmant, en plan séquence, l’émotion qui gagne puis capture l’héroïne muette, la caméra avançant puis se fixant sur le visage. Tempête sous un crâne. Le scénario, comme la mise en scène, jouent en permanence sur ce décalage. Au cœur du dispositif : Anna, refoulant un amour qui ne veut pas s’éteindre, essayant de l’enterrer sous son nouveau mariage. Mais il ne lui appartient pas vraiment : son mari, en public, parle d’abord en son nom, puis elle se voit dépossédée de l’annonce officielle à table. Plus tard, Anna parle de son futur époux: « Il m’aime » (mais elle ne dit jamais qu’elle l’aime), « Il m’épaule » (et on a connu terme plus amoureux). Lorsqu’elle dit enfin vouloir se marier, lors des dernières minutes de film, sa demande reste curieuse, baisant la main de Joseph comme s’il lui accordait un privilège, et puis cette phrase: « Voilà ce que je veux. La paix ». Face à cet amour impossible, il ne reste guère qu’une fuite tragique.
Tragique parce qu’absurde, jusqu’à devenir dérangeante quand l’absurdité submerge le bon sens. La nouvelle de la réincarnation est accueillie avec sarcasmes, par Anna elle-même. Mais la blague dérape. Le futur mari est poussé dans ses retranchements, infligeant une fessée justifiée par un maladroit « il cognait dans ma chaise ». On tape du poing pour assommer l’inexplicable, l’intangible. La sœur a besoin de se lever pour affirmer, solennelle, qu’il n’est pas l’ex-mari d’Anna, alors qu’elle en riait peu de temps avant. Le portrait familial est brisé, tandis que la bonne est esseulée, lors d’un plan étrange, dans le salon en désordre, un courant d’air faisant flotter les rideaux. L’effet n’agit qu’en décalage, une volonté de Carrière qui, à l’écriture, a imaginé qu’entre Anna et l’enfant existait un troisième personnage : le temps. Celui qui sépare Anna de son mari, le jeune garçon de l’adulte, qui rend obscène l’amour d’Anna pour l’enfant, et comme une mauvaise présence, hantise dans un appartement aux couleurs de tombeau (photo magnifique de Benoît Debie) et où le malaise règne. Au-delà des conventions bousculées, c’est la tragédie d’un deuil impossible que conte Birth, la blessure ouverte d’une héroïne, dix ans après la mort, quand elle voit pourtant les gens rire à l’enterrement d’à côté, et que toute cette histoire, selon ses mots, n’a pas de sens. Valse-hésitation également rendue par la partition de Desplat, probablement sa meilleure à ce jour, entre une ampleur orchestrale des sentiments chamboulés et le bouleversement intérieur des boucles électro. Kidman, admirable, a accepté quelques heures après l’avoir reçu ce scénario équilibriste qui ne tient qu’à un saut de foi, mariée en pleurs dans un inconsolable océan, dans l’histoire d'un amour qui ne renaît pas puisqu'il n'est jamais mort.