Lars von Trier

Lars von Trier
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Réalisateur, Scénario, Acteur, Musique
Danemark

Complaisant, schizophrène, manipulateur, obsessionnel, malade, fou, orgueilleux, fumiste, plaisantin, provocateur, bourreau, passionné, génial. Ses films sèment la controverse entre les pour et les anti. Reste que derrière l’homme public volontairement frondeur, se cache un réalisateur sensible qui remet sans cesse son art en question.

LARS ET LA MANIERE

Lars von Trier est un phénomène unique dans le panorama du cinéma mondial. A chaque long métrage, un parti pris différent et indissociable du fond. Le formalisme virtuose de ses premiers films a progressivement laissé place à un cinéma débarrassé de toute scorie visuelle, pour ne représenter que la souffrance humaine. Point culminant de cette évolution: le Dogme bien sûr, dont il a été l’un des principaux initiateurs avec Les Idiots. Mais ce retour à l’ascétisme cinématographique n’est pas un reniement de sa méthode passée, seulement une évolution nécessaire. Dès ses premiers pas derrière la caméra, il s’impose comme un maître de la photo. Après des courts métrages remarqués, ce disciple auto-proclamé de Carl Theodor Dreyer et d’Andreï Tarkovski, met en scène Element of Crime, un polar ténébreux noyé dans des teintes orangées. Premier volet de la trilogie en E sur la déliquescence du vieux continent, le film créé un petit buzz à Cannes où il est projeté avec l’assentiment de Gilles Jacob himself ("mon père", dira LVT). Suivront Epidemic, chef-d’œuvre barré sur la création artistique et Europa, tous deux guidés par une même volonté d’impressionner le spectateur, de l’hypnotiser corps et âme. Le sujet de cette trilogie n’est pas un personnage mais une idée, une sensation. Qu’importe si les héros ne sont que les marionnettes d’une histoire qui les dépassent.

LARS DU CHANGEMENT

Le 13 mai 1995 à Copenhague, Lars von Trier élabore avec trois amis cinéastes, le Dogme, "vœu de chasteté cinématographique". Dix règles contraignantes, inspirées par les théories avant-gardistes des années 20, pour lutter contre un cinéma factice. Le réalisateur doit se libérer de toute ambition esthétique et thématique pour se concentrer sur la reproduction non truquée du réel. Coup de pub? Volonté sincère de questionner le septième art? LVT trouve dans ce défi la force d’oublier son irrépressible besoin de tout contrôler. Une révolution rendue nécessaire par son nouveau triptyque "Cœur d’or", inspiré d’un conte pour enfant où l’héroïne se sacrifie par amour. Exit les plans cadrés à la perfection, LVT privilégie un filmage brut, caméra à l’épaule, pour mieux mettre à nu les sentiments: un mélodrame religieux à la Dreyer réalisé avant le Dogme (Breaking the Waves), un film réaliste (Les Idiots) et un mélodrame musical (Dancer in the Dark), synthèse artistique des deux premiers opus. Lars von Trier avait auparavant signé deux expériences télévisuelles contenant les germes de cette mutation: le téléfilm Medea et la série L’Hôpital et ses fantômes. Avec Dogville, il entame une nouvelle trilogie et une nouvelle mise en scène: décor unique, marquages à la craie et caméra portée.

LARS DE LA PROVOCATION

Le cinéaste danois prend un malin plaisir à entretenir la polémique, à choquer le bourgeois. Au cours de ses études universitaires, il s’attribue une particule germanique (le von), et ne manque aucune occasion de railler le corps enseignant. Ses œuvres répandent une traînée de souffre. Dans Epidemic, il se moque ouvertement de la politique culturelle de son pays. L’extraordinaire série horrifique L’Hôpital et ses fantômes charge à souhait le corps médical: médecins charlatans, infirmiers obsédés sexuels, messes noires dans les sous-sols, courses d’ambulances… Il ose filmer le non-politiquement correct: une partouze dans Les Idiots avec sexes apparents, un suicide dans Europa, une exécution à mort dans Dancer in the Dark. Il est aussi l’un des rares à s’être glissé dans l’Allemagne meurtrie de l’après Seconde Guerre mondiale avec le volontairement ambigu Europa. Certains voient dans ces actes la démonstration de son arrogance et d’un sens du défi immature. Fausse route: LVT souhaite simplement mettre le spectateur en face de ses propres démons. Ses fracassantes déclarations lors des tournées promotionnelles persistent à lui coller une image trouble. Celles sur Dogville n’ont pas dérogé à la règle. Les journalistes américains lui reprochent de n’avoir jamais foulé le sol des Etats-Unis avant de tourner Dancer in the Dark. Qu’à cela ne tienne. Vexé par ses remarques, il décide de mettre en scène un triptyque sur l’Amérique…

LARS DE LA GUERRE

Autre point épineux, son comportement sur les tournages. Selon ses propres dires, il est un véritable tyran qui martyrise ses actrices principales car elles refusent de se livrer entièrement à son pouvoir. Son rêve: hypnotiser ses comédiens pour en faire exactement ce qu’il souhaite. Dans son savoureux journal intime sur le tournage des Idiots, il se montre sous un bien mauvais jour et n’hésite pas à faire subir les pires humiliations à l’actrice Anne Louise Hassing qui a repoussé ses avances sexuelles. Sa traditionnelle équipe de tournage affirme pourtant le contraire. Si Lars von Trier est un réalisateur très autoritaire, l’ambiance sur les plateaux est généralement excellente. Les comédiens Stellan Skarsgård, Udo Krier et Jean-Marc Barr continuent de lui rester fidèles. La superstar Nicole Kidman n'a pu tenir sa promesse de participer à Mandalay et Washington, uniquement pour des raisons d'agenda. La seule personne avec qui il a été jusqu’au clash émotionnel fut Björk. Une non professionnelle du cinéma habituée à tenir les rênes de la création... L’Islandaise s’est peu à peu immergée dans son rôle pour devenir Selma, une femme-enfant sauvage et incontrôlable. Les deux artistes ont vécu une relation d’amour-haine qui a explosé au grand jour lors du Festival de Cannes 2000. La presse a pris le parti de la musicienne contre le cinéaste qui n’a rien fait pour défendre sa réputation. Bien au contraire, il jubile de la crainte qu’il inspire…

LARS RELIGIEUX

En se présentant à Cannes, le crâne rasé tel un cinéaste en croisade, Lars von Trier a peut-être donné un nouveau signe ostensible de sa foi envers le septième art. La religion est l’un de ses thèmes de prédilection. Pris dans un engrenage dont les enjeux dépassent leurs destins individuels, les personnages principaux de ses longs métrages semblent gouvernés par une force irrésistible. Toute bondieuserie est inutile. Pessimiste sur la nature humaine, hypocondriaque forcené, doté de phobies aussi violentes que diverses, le cinéaste ne peut croire en un Dieu Amour; il croit à la punition divine et aux forces du Mal. Les hommes et les femmes qui le trahissent sont ainsi voués à la mort, maudits pour l’Eternité. Meurtri par la disparition de sa mère en 1990, LVT se convertit au catholicisme et devient un pratiquant convaincu – pendant quelque temps. Breaking the Waves et Dancer in the Dark témoigneront de ce nouvel état. Proches de la Jeanne d’Arc de Dreyer, les héroïnes de la trilogie "Cœur d’or" vivent un sacerdoce expiatoire pour finir en martyr d’une cause perdue d’avance. Leur volonté parvient à renverser des montagnes, mais - ironie du sort - les condamne aussi au sacrifice de leur vie. Bess voit ses prières s’exaucer jusqu’au miracle final. Telle une oraison funèbre, La Passion de Jean-Sébastien Bach accompagne alors le générique final…

par Yannick Vély

En savoir plus

2005 Manderlay 2003 Dogville 2000 Dancer in the Dark 1998 Les Idiots 1996 Breaking the Waves 1991 Europa 1988 Epidemic 1984 Element of Crime

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