Alien 3
États-Unis, 1992
De David Fincher
Scénario : Vincent Ward
Avec : Charles Dance, Charles Dutton, Sigourney Weaver
Musique : Elliot Goldenthal
Durée : 1h54
Le texte ci-dessous contient des éléments importants des autres films de David Fincher (Seven, Fight Club et The Game). Si vous ne les avez pas vus, ce texte peut gâcher leur vision.
L'HISTOIRE DU FILM
La saga des Alien est pour bien des points la meilleure série de l’Histoire du cinéma (avis personnel). Tout d’abord, chaque opus fut réalisé par un maître de la mise en scène, ce qui nous donne à chaque fois un chef-d’œuvre technique et artistique incomparable. Mais aussi et surtout parce que chacun de ces réalisateurs possède un style particulier, un genre qui lui permet de s’approprier le mythe en l’adaptant à sa sauce. Après le huis-clos angoissant du premier Alien de Ridley Scott, après la boucherie hallucinante et effrayante du second volet de James Cameron, la Fox cherche à faire un troisième Alien. Alors que de nombreux metteurs en scènes sont envisagés (dont Jean-Pierre Jeunet déjà à l’époque), la Fox décide de se tourner vers un prodige du clip, réalisateur pour Madonna, George Michael, Aerosmith ou les Stones. Ce petit génie s’appelle David Fincher.
Au moment où Fincher arrive sur le projet, le scénario qu’il a en main correspond à une base mitraillée par les différents metteurs en scènes et script doctors qui sont passées dessus. Le travail avance et le film démarre. Le tournage se passe assez mal pour le jeune cinéaste (trente ans seulement): les producteurs sont alarmés par l’ambiance du film, les exigences du réalisateur. Pourtant, malgré les réticences, le film se tourne. C’est au montage que tout se complique. Le film de Fincher est long et apparaît au producteur comme une sorte d’épopée sombre où un enterrement dure quinze minutes et où l’espoir est vain. Les projections tests font sombrer le film, les producteurs écartent Fincher (qui ne se cachera pas de hurler son mécontentement), pour engager des réalisateurs (dont on taira le nom) plus calibrés pour remonter le film de façon plus nerveuse. Le film sort finalement en été 1992, fait un bide relatif de cinquante millions de dollars, est sauvé par un accueil international plus chaleureux (quoique). On enterre Fincher vivant (on avait tort).
UN VRAI FILM DE FINCHER
Voilà la triste histoire de ce film massacré. Pourtant il n’est pas impossible de revoir Alien 3 tel qu’il est. Si on y regarde bien, on y voit même le splendide vestige d’un grand film, d'un très grand film. Tout d’abord, il faut y voir un vrai film "fincherien". Tous les éléments du films concordent: un personnage en pleine crise, désespéré dans sa lutte contre un système, ce système brouillé, inhumain, comme sorti de l’apocalypse. Un monde anonyme, où les hommes se sont inventés une religion (on pourrait y voir un projet Chaos avant l’heure, avec leurs crânes rasés, leurs doctrines, leurs violences...), où l’ordre règne par l’indifférence et l’exclusion.
Ensuite, il faut y voir ce que Fincher apporte au mythe Alien. La personnalité principale est particulièrement originale: alors qu’elle a le crâne rasé (signe de l’uniformisation), Ripley, précédemment mère par substitution, devient femme (elle a pour la première fois un lien charnel), lasse et désœuvrée (le ton de Sigourney Weaver dans le film indique sérieusement sa lassitude du combat, comme une résignation, que l’on retrouve chez le Somerset -Morgan Freeman- de Seven). Plus encore, dans le film, Ripley devient son propre ennemi, obligée de se sacrifier pour obtenir la victoire (là encore, on peut y voir un lien fort chez Fincher, John Doe, Nicholas Von Orton et Tyler Durden devant se suicider pour achever le cycle d’évolution entamé durant le film).
Dans la vision du monde d’Alien, on ressent également la patte Fincher. Le lieu du drame est une prison, mais dans laquelle Fincher laisse transparaître des préoccupations différentes. La lutte contre l’Alien prend pour la première fois de vrais aspects théologiques. La prison par tous ses aspects (l’allure de ses prisonniers, la réalisation) prend des allures de monastère, lieu isolé (thème du huis-clos). Mais c’est l’apparition d’une femme et d’un monstre qui va tout troubler. On pourrait parler de façon certaine de la relation entre la féminité réveillée de Ripley et la montée de la violence des hommes, thème on ne peut plus biblique. Mais on parlera plutôt du thème le plus important : l’alien. Celui-ci incarne par bien des aspects un monstre mythologique rempli de symboles. Il ne peut être tué que par l’alliance de tous et sort des entrailles des hommes. Il profite des troubles et de l’ignorance humaine (le personnage du gardien, Aaron "85") pour disséminer autour de lui.
L’Alien dans le film de Fincher est le mal absolu, et Ripley la seule personne qui puisse lui faire face. Mais ici, elle contient le mal en elle. La portée de tout cela n’est pas sans rappeler la bible et le combat du christ contre les tentations. De même, son sacrifice pour racheter les hommes trouve son écho dans le suicide de Ripley. Partout dans le film on ne cesse de retrouver des éléments confortant cette idée que Fincher avec Alien 3 ne voulait rien faire d’autre qu'un immense film sur les notions qui hantent l’homme depuis la naissance de la conscience: le bien, le mal, et les limites séparant les deux. La justice en somme, celle de Dieu et celle des hommes. On comprend ainsi que l’enterrement de Newt (et le discours incroyable du prêtre probablement coupé), monté en parallèle avec la naissance de l’Alien ait eu une importance plus grande dans la vision première de Fincher. On comprend aussi la peur des studios de la Fox qui, pour suivre l’épopée de survie de Cameron, se retrouvaient avec un long film métaphysique où l’action prenaient finalement peu de place.
Qu’importe si le film fut coupé, Alien 3 trouve son successeur dans Seven, le film suivant de Fincher, où ses sombres idées prennent tout leur sens. Il reste d’Alien 3 des choses merveilleuses, une mise en scène plus qu’incroyable (la poursuite des tunnels est un exemple hallucinant de la maîtrise de Fincher). On se régale de ces restes. En espérant sans relâche pouvoir un jour découvrir la version longue du film, qui confirmera (ou non) notre idée qu’avec Alien 3, Fincher avait déjà installé son nom dans le cercle des grands génies du cinéma.