A l'Ouest des rails
Tiexi Qu
Chine, République populaire de, 2004
De Wang Bing
Scénario : Wang Bing
Photo : Wang Bing
Durée : 4h15
A Shenyang, dans la Chine profonde, Tie Xi est un gigantesque complexe industriel né au temps de l'occupation japonaise. Il a ensuite prospéré jusqu'à compter un million d'ouvriers avant 1990. Wang Bing a filmé de 1999 à 2001 la lente agonie des usines et des hommes dans l'effondrement final d'un système obsolète. En suivant au quotidien la descente aux enfers d'une classe ouvrière autrefois promise à d'autres gloires par la Révolution chinoise, Wang Bing nous plonge au cœur d'une épopée moderne et il élève ces hommes et ces femmes au rang des plus bouleversants héros de cinéma.
LA RAISON DU PLUS FORT
Un documentaire de plus de neuf heures sur une usine qui se meurt. Résumé ainsi, A l’Ouest des rails de Wang Bing a de quoi effrayer le plus téméraire des cinéphiles, même ceux qui luttent contre la MacDonaldisation du septième art. Pourtant, à l’instar du fameux premier disque du Velvet Underground, dont la légende rapporte que seulement cinq cent exemplaires ont d’abord été vendus, pour donner naissance à cinq cent nouveaux groupes, le geste politique et artistique du cinéaste chinois provoque l’envie de se saisir d’une caméra DV pour filmer ce qui nous entoure. A l’Ouest des rails aurait pu se situer dans un autre endroit du globe, à une autre époque, à St Eloy-les-Mines ou dans le bassin lorrain tant son propos simple et fort touche à l’universalité et évoque la fin tragique de ce qui s’est appelé le prolétariat ouvrier. Néanmoins, au-delà de son discours et de sa démesure thématique, ce qui frappe dans le film de Wang Bing est sa dimension esthétique. Depuis les longs métrages du cinéaste hongrois Béla Tarr, personne n’avait à ce point magnifié la tragique fin d’un monde.
UNE VERITE QUI ARRANGE
A l’Ouest des rails est composé de trois parties d’une durée égale, qui prennent en compte un aspect de la vie d’un titanesque complexe industriel du nord-est de la Chine, à Shenyang, voué à une lente disparition. La première, intitulée Rouille, est centré sur le dernier haut fourneau de l’usine, bientôt mis hors de fonction. Wang Bing suit les ouvriers dans leur moindre déplacement, filme la sueur et les larmes, l’avenir incertain de ces hommes qui ont donné leur vie à l’état chinois. Les images sont impressionnantes, cernant un enfer d’acier, de vapeur et de flammes. Vestiges, la deuxième partie, semble échappée d’un film de Jia Zhang Ke. Wang Bing s’intéresse aux gens qui peuplent un quartier désoeuvré de la ville et montre que malgré les conditions de vie presque insalubres, les hommes luttent pour faire face et tenir bon, rivalisant de débrouillardise et de moyens plus ou moins licites. Enfin, Rails, troisième et dernière partie, suit le trajet du train qui parcourt l’usine et fait le lien entre les différentes communautés. Par de longs travellings d’une beauté hypnotique, Wang Bing embrasse l’univers tout entier et donne au parcours de la locomotive, sous la neige, des airs de requiem.