Personal Shopper
De Assayas Olivier
Éditeur : Les Films du Losange
Zone 2
Nombre de disques : 1
Durée : 1h41
Sortie : 18/04/2017
Maureen, une jeune américaine à Paris, s’occupe de la garde-robe d’une célébrité. C’est un travail qu’elle n’aime pas mais elle n’a pas trouvé mieux pour payer son séjour et attendre que se manifeste l’esprit de Lewis, son frère jumeau récemment disparu. Elle se met alors à recevoir sur son portable d’étranges messages anonymes…
ET LA REINE DU SHOPPING EST...
Dans une scène marquante de Sils Maria, précédent long métrage d'Olivier Assayas, le personnage de l'actrice Maria Enders (jouée par Juliette Binoche) ricane à la simple idée qu'un film de genre puisse être pris au sérieux. Son assistante Valentine (jouée par Kristen Stewart) devait péniblement lui expliquer qu'il y a autant de vérité dans le cinéma fantastique que dans le cinéma le plus réaliste. Personal Shopper prend cette pensée au mot, l'illustre... et enfoncerait une porte ouverte ? A en croire les petits ricanements immédiats (et un peu idiots) parmi les journalistes dès que le surnaturel s'invite dans Personal Shopper, il y a encore pas mal de pédagogie à faire, notamment auprès de cinéphiles pour qui fantastique = sottise, et qui s'attendent éternellement à ce qu'Assayas réalise un remake de Fin août, début septembre ou un reboot de L'Heure d'été.
L'Heure d'été, nous y sommes presque dans cette belle maison bourgeoise isolée dans la verdure. Sauf que cette maison, nous dit-on rapidement, est liée à "trop de souvenirs". Métaphore plus ou moins fantomatique ? Pas du tout. Personal Shopper est un pur film de fantômes, avec son plancher qui grince, ses portes qui claquent, ses esprits frappeurs et en colère - pas une simple évocation. A Cannes où l'on voit certains super-auteurs se reposer sur leurs rails de luxe, il faut déjà saluer ici l'impulsion d'un cinéaste respecté qui sort de sa zone de confort. Car si l'on faisait des clins d'oeil à Louis Feuillade dans Irma Vep et si l'hésitation fantastique s'invitait le temps d'une scène dans Sils Maria, le surnaturel n'a jamais été aussi frontal chez le cinéaste.
La tête de Personal Shopper est, du coup, assez étrange. On y suit le parcours de l'assistante d'une star, endeuillée et medium, qui se retrouve confrontée à des manifestations surnaturelles. On assiste par la même occasion à une fort curieuse cohabitation : le film d'Assayas auquel on s'attend - sa jeune héroïne moderne dans un milieu urbain et culturellement riche - et le fantastique qui agit comme une bizarre greffe de visage, donnant un film au ton tout à fait inattendu. Le fantastique, dans ce décor, paraît encore plus incongru. On pourrait penser aux fantômes urbains et au goût pour les thrillers glauques d'un Kiyoshi Kurosawa - mais la mise en scène d'Assayas n'en est pas si proche. Il y a surtout le sentiment de voir quelque chose d'unique, de ne pas savoir du tout où cela va aller : voilà déjà des qualités fort excitantes - et rares - pour un long métrage.
Personal Shopper est surprenant, mais pioche pourtant dans un fantastique presque immémoriel. On y évoque les séances de spiritisme d'un Victor Hugo, et le pacte qui unit Maureen et son défunt frère évoque celui passé entre Houdini et son épouse. Si le ton est unique, le traitement du fantastique est plus classique et n'invente finalement presque rien. Assayas traite du deuil et en voici son expression fantastique. Il traite d'enveloppes corporelles - métaphoriquement ou littéralement : de cette jeune femme qui essaye des tenues pour une autre, d'un fantôme... ou d'une vivante qui vit comme un fantôme. Ce choix poétique donne du relief au personnage incarné par Kristen Stewart, charismatique jusqu'au bord de l'explosion. Sa seconde collaboration avec Assayas est une nouvelle réussite, et on imagine avec effroi comment pas mal d'autres jeunes actrices se seraient transformées en omelette avec de tels ingrédients. Film de peur, Personal Shopper n'a pourtant pas peur de grand chose: de remplacer de manière tout à fait gonflée de longues scènes de dialogues par des SMS, de s'engager dans des décrochages narratifs risqués ou, par-dessus du tout, du ridicule. On l'a souvent dit ici, c'est souvent ce qui fait la différence entre un gentil film juste bien fait et un film avec du panache - Personal Shopper appartenant à la seconde catégorie.