Demonlover
De Assayas Olivier
Éditeur : M6 Vidéo
Zone 2
Nombre de disques : 1
Sortie : 18/06/2003
Deux sociétés concurrentes, Mangatronics et Demonvoler, tentent de racheter les droits de diffusion des hentaï, films d’animation pornographiques produits par TokyoAnime. Employée du groupe Henri-Pierre Volf, nouvel acquéreur de TokyoAnime, Diane défend secrètement les intérêts de Mangatronics pour nuire à ceux de Demonlover.
Copieusement sifflé à Cannes, Demonlover n’en demeure pas moins un ovni filmique beau et trouble, dont l’impact visuel prend vite le pas sur le récit d’espionnage. L’accroche rusée appartient aux nombreux trompe-l’œil du film; Demonlover s’inspire du cinéma de genre pour mieux le désosser et faire tourner la tête à ses détracteurs. Résolument moderne, la dernière œuvre d’Olivier Assayas se désolidarise de ses aînés. Après Les Destinées sentimentales et son immersion inattendue dans la fresque en costumes, le cinéaste s’empare de nouveaux thèmes dans l’air du temps: l’angoisse high-tech et la violence sourde des milieux d’affaire, relevés par un soupçon d’érotisme virtuel. Entrepreneurs véreux, espionnes et secrétaires hypnotisent leurs proies dans un monde clinquant, bavard et obscène. Partout, les mêmes signes extérieurs de richesse: première classe, limousines, hôtels de luxe, casting tiré à quatre épingles. L’appât du gain et la fièvre consommatrice installent un sentiment d’urgence. Comme ses personnages, Demonlover revendique sa superficialité et déploie avec désinvolture ses stratégies de séduction. Le film s’ouvre à la manière d’un thriller classique avant de saborder sa propre narration. Les masques se décomposent, tandis que Diane perd pied avec la réalité et entre dans une fiction tortueuse et souterraine.
Que voit-on dans Demonlover? Des opérations financières, des conflits de bureau stériles, balayés par un kaléidoscope d’images hétéroclites –explosions, hentaï, défilés de mode-. Qu’elles soient gratuites ou vulgaires, Assayas ne les juge pas, ne les hiérarchise pas. Omniprésents, ces réseaux inextricables contaminent l’espace et l’imaginaire de Diane jusqu’à exister indépendamment du récit. Demonlover annule les distances par le biais des écrans; les pays traversés ne sont jamais plus que des surfaces interchangeables. Cloîtrée dans une chambre d’hôtel au Japon, la jeune femme sélectionne sur son poste de télévision une chaîne pornographique. Profitant d’une visite dans les ateliers de TokyoAnime, Diane et Hervé regardent sur un moniteur des nymphettes éplorées offertes à des tentacules géantes. Assayas élargit peu à peu son champ d’expérimentation et interroge la fascination -ou la répulsion- que ces images exercent sur son spectateur, la manière dont elles l’interpellent, le flattent, affectent sa sexualité ou influent sur son comportement. L’erreur serait d’assimiler le film à un brûlot contre les méfaits d’Internet. Sur un sujet proche du visionnaire Videodrome de David Cronenberg, Demonlover ne cherche pas à démontrer. Seule la fin prêtera à confusion.
En réponse à l’éclatement de l’histoire, Demonlover revêt une esthétique protéiforme, dense et sophistiquée. Assayas gratte et distord la pellicule, accélère et dilate le temps, confond panoramiques et gros plans, Scope et caméra DV. Sonic Youth travaille en étroite collaboration avec le cinéaste et livre un impressionnant magma sonore de guitares saturées. Envahi d'ordinateurs, de portables, de baies vitrées reflétant des visages désincarnés, l’univers de Demonlover façonne une héroïne à son image. Chasseresse infaillible et redoutée, Diane s'exprime machinalement. L’exactitude de ses gestes et la perfection de ses traits en font une héroïne presque irréelle. La photogénie des actrices n’est pas fortuite. Mais le mystère de Diane reste entier. Absorbée par un environnement qui la dépasse, l’espionne paraît toujours absente, déracinée, déconnectée. A la césure du film, Diane redevient un être de chair capable de sentiments. L’inversion des rapports de force et les éclaboussures de sang la confrontent à une réalité brutale, progressivement gangrenée par le virtuel. A mesure que son personnage gagne en humanité, Demonlover dérive un peu plus vers l’abstraction et ouvre les portes du Hell Fire Club, qui achève de transformer Diane en pur objet de fantasme.
Les fausses pistes et les faux-semblants engendrent un décor hallucinatoire, où réel et virtuel se bousculent sans le moindre intermédiaire. Après une heure d’exposition et de chassés-croisés confus, Demonlover va jusqu’au bout de son exploration sensorielle et de ses excès. L’audace formelle et les étonnantes recherches plastiques provoquent parfois des maladresses et des longueurs, mais le film fascine au-delà du simple discours didactique auquel on tend à le réduire. Assayas projette sa vision d’un monde matérialiste et fluctuant, adouci par le teint diaphane de Connie Nielsen.
Bonus
Excellente édition DVD pour un film hélas boudé par la critique et le public. Au long métrage initial qui bénéficie d’une magnifique copie s’ajoutent des bonus peu nombreux mais très intéressants. Tout d’abord un making of réalisé par Yorick le Saux, qui montre la complexité d’un tournage effectué sur trois continents différents. Les entretiens avec les trois acteurs principaux du film, Charles Berling, Chloe Sevigny et la divine Connie Nielsen permettent d’apprécier le dévouement des comédiens pour le projet ambitieux d’Olivier Assayas. Ce dernier, ancien critique des Cahiers du cinéma donne des éclairages très intéressants à Demonlover en le resituant dans le contexte plus général du cinéma français. Son long commentaire audio est également très pertinent, expliquant scènes après scènes ses objectifs initiaux et ses choix de mise en scène. Le clou du DVD reste cependant son court mais précieux documentaire sur le groupe Sonic Youth. Le spectateur entre dans un work in progrss fascinant où l’image et le son ne font plus qu’un. Les interactions entre l’univers du cinéaste français et les travaux du groupe américain éclatent au grand jour et permettent de mieux apprécier la matière sonore de Demonlover, véritable personnage à part entière. L’ensemble constitue donc du bel ouvrage servis de surcroît par un beau packaging et des menus animés du plus bel effet. Grâce à ce travail soigné, cet ovni filmique aura peut-être une seconde carrière en DVD. Yannick Vély
En savoir plus
Interactivité :
Excellente édition DVD pour un film hélas boudé par la critique et le public. Au long métrage initial qui bénéficie d’une magnifique copie s’ajoutent des bonus peu nombreux mais très intéressants. Tout d’abord un making of réalisé par Yorick le Saux, qui montre la complexité d’un tournage effectué sur trois continents différents. Les entretiens avec les trois acteurs principaux du film, Charles Berling, Chloe Sevigny et la divine Connie Nielsen permettent d’apprécier le dévouement des comédiens pour le projet ambitieux d’Olivier Assayas. Ce dernier, ancien critique des Cahiers du cinéma donne des éclairages très intéressants à Demonlover en le resituant dans le contexte plus général du cinéma français. Son long commentaire audio est également très pertinent, expliquant scènes après scènes ses objectifs initiaux et ses choix de mise en scène. Le clou du DVD reste cependant son court mais précieux documentaire sur le groupe Sonic Youth. Le spectateur entre dans un work in progrss fascinant où l’image et le son ne font plus qu’un. Les interactions entre l’univers du cinéaste français et les travaux du groupe américain éclatent au grand jour et permettent de mieux apprécier la matière sonore de Demonlover, véritable personnage à part entière. L’ensemble constitue donc du bel ouvrage servis de surcroît par un beau packaging et des menus animés du plus bel effet. Grâce à ce travail soigné, cet ovni filmique aura peut-être une seconde carrière en DVD. Yannick Vély