Coffee and Cigarettes
De Jarmusch Jim
Éditeur : Bac Vidéo
Zone 2
Nombre de disques : 1
Durée : 1h33
Sortie : 07/02/2008
Onze rendez-vous impromptus, autour de soucoupes en porcelaine et de quelques cigarettes éparpillées.
VIENS VOIR LES COMEDIENS
La table est réservée. Le menu pourrait tenir dans un mouchoir de poche, les convives semblent ignorer eux-mêmes la raison de leur venue. L’intitulé ne ment pas. Dans Coffee and Cigarettes, il n’est question que de café et de cigarettes. Et de petites choses de-ci de-là, si dérisoires qu’elles en deviennent terriblement attractives. Les tableaux émiettés vérifient très vite l’adage, l’appétit vient en mangeant. Plus les clients défilent, plus le spectateur goinfre prend ses aises. S’il y a un sujet sur lequel tous les courts de Coffee and Cigarettes s’accordent, c’est bien l’addiction. Addiction à un plissement de front et à un timbre familiers, à une main pianotant élégamment sur un briquet et autant de postures glamour à mort, dont on ne souhaite plus se désintoxiquer. Depuis 1986, Jim Jarmusch étire ses quatre heures, épluche son carnet d’adresses pour agripper quelques vieilles connaissances. Lâchées dans un décor tranquillement coupé du monde, les victimes consentantes sont invitées à passer du bon temps. Variations autour d’une même théière, concerto de chaises musicales, potins mondains… L’auberge aléatoire réunit des pointures de tous horizons, constellation rock-hip hop (Iggy Pop, Tom Waits, Jack et Meg White, RZA et GZA) et terre bénie du cinéma (Cate Blanchett, Steve Buscemi, Bill Murray, Steve Coogan…). Un carrefour de francs caractères confiant leur flegme ou leur ennui.
BEAUTIFUL FREAK
Feuilleton de presque vingt ans, Coffee and Cigarettes est l’œuvre d’une vie. Mais un carnet de bord spontané, jamais solennel, qui s’amuse d’une escarmouche. Le diptyque Smoke / Brooklyn Boogie (de Wayne Wang et Paul Auster) aurait pu servir de tremplin formel. Le cinéaste y faisait une brève apparition aux côtés de Harvey Keitel pour confier son indomptable dépendance à la nicotine, cette fichue "dernière cigarette" qui refuse de s’éteindre. Le premier sketch de Coffee and Cigarettes vient de plus loin encore, à l’époque où Jarmusch, en bon dilettante, ne sait pas vraiment où toutes ces nappes à carreaux vont le mener. C’est l’équipe du survolté Saturday Night Live qui lui commande la pochade inaugurale, Strange to Meet You réunissant Roberto Benigni et Steven Wright. Adepte du grain et de la douceur du clair-obscur, le cinéaste s’en remet à l’esthétisme impeccable de Stranger than Paradise et de Down by Law. Tournées au hasard de l’inspiration et des calendriers, les vignettes rivalisent de coquetterie et répondent aux mêmes impératifs thématiques. A peine entamé, le projet reçoit une Palme d’or du court métrage à Cannes (Somewhere in California, avec Iggy Pop et Tom Waits). Avec Jarmusch, on en revient éternellement à l’éloge du court. Brillamment distribué, son jeu de jokers fait du babillage insipide un moment d’anthologie.
SOUS LE SIGNE DES GEMEAUX
Subtilement décalées, amoureusement polies: les jolies perles ne laissent pourtant rien au hasard. Les couverts ne restent pas longtemps les mêmes. A chaque histoire, son petit coin de paradis patiemment fleuri: du sachet de sucre aux échafaudages, toute vétille respire la méticulosité. Pendant que RZA et GZA exaltent les vertus du thé (Delirium), Cate Blanchett reçoit une chère parente dans un salon d’hôtel (Cousins). Iggy Pop et Tom Waits s’inquiètent de la programmation d’un juke-box. Bill Murray (l’excellent "pay the Bill") et Steve Buscemi sont désignés employés du mois. D’un sketch à l’autre, les mêmes récurrences géométriques reviennent à la charge: carrés et losanges bien découpés, symétrie des visages et des lieux. Ordonnées ou joyeusement dispersées, les tasses et les cigarettes orientent le plan de bataille. Sans surprise, le damier est identifié à un plateau de jeu dans No Problem. A l’intérieur d’un dispositif rigoureusement exact, les duos et les trios taquins de Coffee and Cigarettes s’en donnent à cœur joie. Jarmusch accélère ou défait le rythme d’une conversation (du regard en chien de faïence aux témoignages enjoués), se moque gentiment de la vanité des acteurs (Cousins? avec Alfred Molina et Steve Coogan, hilarants). Et conforte un même leitmotiv, la famille: fraternité des musiciens, gémellité des acteurs, consanguinités vraies ou fictives. La maison Jarmusch soigne ses hôtes. Les hôtes le lui rendent décidément bien.
Bonus
Les bonus de Coffee and Cigarettes sont à l’image du film: fugitifs. A peine 10 minutes de compléments. A peine le temps d’attraper quelques mots de l’acteur Taylor Mead (vu dans Macadam Cowboy), vieille connaissance de Jim Jarmusch et admiratif du jeu de Cate Blanchett (4’10 min), à peine le temps d’entrevoir Bill Murray dans une scène coupée du sketch avec RZA (durée : 53 secondes). La filmographie, la bande-annonce et les liens Internet n’apportent pas plus de consistance.